lundi 15 septembre 2014

L'Oeuvre Au Noir - Marguerite Yourcenar

Je viens d'achever "L'Oeuvre au Noir" et même si je n'y ai pas trouvé le souffle unique qui est celui des "Mémoires d'Hadrien", je ne saurais faire autrement que de recommander la lecture de cet ouvrage (qui peut paraître austère, je n'en disconviens pas). La langue y est toujours aussi superbe, bien qu'un peu moins naturelle que dans les "Mémoires" où, tout en conservant sa richesse un peu précieuse, elle semble couler de source.

"L'Oeuvre au noir" nous conte le destin de Zénon, fils bâtard d'un jeune prélat italien et de la soeur d'un riche banquier flamand. Abandonné par son père (qui meurt il est vrai un peu plus tard) et délaissé par sa mère (qui ne le supporte pas), le jeune Zénon développe très tôt un esprit indépendant et avide de liberté. Périlleuse revendication dans le monde perclus de guerres religieuses qu'est celui de l'Europe du XVIème siècle.

En définitive, Zénon se fera médecin tout en tâtant, comme nombre de ses confrères à l'époque, de ce que l'on appelle encore l'alchimie. De sa Bruges natale jusqu'au Paris de Catherine de Médicis et à la Pologne des Wasa, il cherche, cherche inlassablement une vérité qui n'est pas de ce monde et dont ce sceptique avant la lettre se demande même si elle peut avoir droit de cité en ce bas-monde.

Fin, révolté et intelligent, Zénon se commet bien entendu dans la rédaction de certains traités que l'Eglise aussi bien que les Luthériens considèrent avec la plus grande méfiance. En d'autres termes, eût-il vécu de nos jours, que Zénon aurait probablement été un grand défenseur de la laïcité et de cette liberté d'expression qu'elle seule autorise.

Mais dans cette Europe qui s'enferme pour longtemps dans la Contre-Réforme, Zénon doit fuir et se cacher. Avec les ans, il revient dans sa ville natale, sous le nom d'emprunt de Sébastien Théus (le jeu de mots sur "Théus" est savoureux). Tout s'y passe d'abord assez bien et puis ...

Et puis, les hommes et leur ignorance supersticieuse étant ce qu'ils sont d'habitude, tout finit mal, vous l'aurez deviné.

Mais - et cela, c'est le message du livre - pas un seul instant, Zénon ne faiblit. Pour s'éviter d'ailleurs la faiblesse ultime de la chair devant la torture et le bûcher, il s'évade par le suicide, un suicide dans la grande tradition de ces Anciens qu'il admirait.

Un roman brillant, prix Fémina largement justifié en 1968.

Et aussi, en ces temps où l'obscurantisme religieux redresse son profil d'hydre de Lerne, un réquisitoire posé mais impitoyable contre ceux qui refusent aux hommes la liberté de leur conscience. A lire absolument. thumleft

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