lundi 29 septembre 2014

Le Maître de Thé - Inoue Yasushi

Honkakubô Ibun
Traduction : Oku Tadahiro & Anna Guérineau


ISBN : 9782253933243

Notre Opinion
Personnages

Citation :
[...] ... "Monsieur Rikyû se servait de petits bols à thé et de petites spatules ; je crois que c'est parce qu'il était grand. Je ne le lui ai bien sûr jamais demandé directement, mais c'est ce que je pense ! Et je crois que c'était quelque chose de longuement réfléchi : il calculait la taille de la spatule en fonction de celle du bol ; quant au bol, il le mesurait en mailles de tatami," dit Monsieur Tôyôbô [= vieux moine, ami de Honkakubô].

"Cela m'apparaît comme une évidence, aujourd'hui, alors qu'à l'époque je pensais simplement que c'était parce qu'il aimait mieux les bols de petites tailles et les petites spatules ...

"On peut dire ce qu'on voudra, il avait un style incomparable : libre, ample, sans la moindre trace d'avarice. Rien qu'à le regarder faire, on se sentait tranquille : un style fluide, sans aucune précipitation. On voudrait parler de génie mais il était sûrement le résultat de beaucoup d'efforts ... Le style de Monsieur Rikyû ressemblait à un combat, sans arme et sans stratégie ; en un mot : le combat d'un homme à nu."

Dans les propos de Monsieur Tôyôbô, il y avait beaucoup de choses dont je me doutais déjà : le thé de mon Maître devait en effet approcher cela.

"Ce genre de personnages attire le malheur
, reprit-il.

- Mais, protestai-je, mon Maître employait toujours le langage honorifique envers les gens dont le rang l'exigeait et il observait toujours strictement les règles de la politesse ! Il est impensable que l'on ait pu lui adresser la moindre critique sur ce point !

- Bien sûr que non ! Il était irréprochable ! même quand ce n'était qu'un samouraï de moindre rang, du moment qu'il s'agissait d'un samouraï, Rikyû se montrait plein de respect ... particulièrement envers le Taïko Hideyoshi, il faisait très attention : même un simple bol à thé, il ne l'aurait jamais présenté à ses disciples avant de l'avoir offert d'abord au TaÏko Hideyoshi : "D'abord le Taïko Hideyoshi !" Il n'aurait jamais pris un bol ou une spatule à thé sans en avoir rendu grâces avant à son Seigneur. Malgré cela, il attira sur lui la colère des puissants. Ou ne pourrait-on pas dire plutôt que c'est cela même qui lui valut sa disgrâce ?" ... [...]
 
 
Citation :
[...] ... - D'après ce que j'avais entendu dire, enchaîna le patron de Daïtokuya, je pensais qu'une salle de thé se devait d'être de petites dimensions, mais à présent que je suis installé dans cette salle spacieuse, je crois vraiment que c'est ce qui convient le mieux au thé. Je suis plein d'admiration pour ce que vous avez construit là, [Monsieur Uraku] !

- Qu'il existe de petites salles est une bonne chose, mais je voulais qu'on puisse se divertir paisiblement dans celle-ci. Dans une petite salle, cela finit toujours par être un combat ; et qui dit combat, dit gagnant et perdant. On finit comme Monsieur Rikyû : on ne peut éviter d'attirer la mort.

- Pourquoi Monsieur Rikyû a-t-il attiré la mort ?" demanda le patron de Daïtokuya.
Même pour Monsieur Uraku, c'était une question embarrassante.

"Ah ! Pourquoi a-t-il attiré la mort ? J'ignore la raison officielle mais je la crois assez simple : combien de fois le Taïko Hideyoshi est-il entré dans la salle de thé de Monsieur Rikyû ?" fit Monsieur Uraku en se tournant vers moi.

- "Je ne sais pas vraiment ... plusieurs dizaines, ou plusieurs centaines de fois ? Au moment de la bataille d'Odawara et à Hakone, il venait à peu près tous les jours.

- Le Taïko a donc expérimenté plusieurs dizaines, ou plusieurs centaines de fois, une petite mort ; en entrant dans la salle de thé de Monsieur Rikyû, il était obligé d'abandonner son sabre, de boire le thé, d'admirer les bols ... Chaque cérémonie du thé était une mise à mort. Il aura sûrement eu envie, au moins une fois dans sa vie, de faire connaître la mort à celui qui la lui avait fait goûter ! N'est-ce pas ?"

Je n'arrivais pas à distinguer la part de sincérité et la part de plaisanterie dans les propos de Monsieur Uraku. Le patron de Daïtokuya insista :

- "Il aurait pu éviter tout cela s'il s'était excusé. Il y a eu une rumeur en ce sens, à une époque.

- Ah bon !" se contenta de dire Monsieur Uraku sans autre réaction avant de reprendre : "Monsieur Rikyû avait assisté à la mort de nombreux samouraïs. Combien d'entre eux sont partis pour la bataille où ils trouvèrent la mort, après avoir dégusté un thé préparé par Monsieur Rikyû ? Après avoir assisté à tant de morts non naturelles, c'était presque un devoir que de ne pas mourir dans son lit ! N'est-ce pas ?"

Il déclara ceci d'un ton neutre. Son expression nous engageait à souscrire à ses propos :

- "Cependant, ajouta-t-il, Monsieur Rikyû était quelqu'un d'extraordinaire : quel que soit le nombre d'autres hommes de thé de par le monde, pas un seul ne peut lui être comparé. Il suivait sa propre route, en solitaire ; il préparait le thé, en solitaire. Il fit du thé autre chose qu'un divertissement. Mais il n'en fit pas une salle de zen ; il en fit un lieu de suicide. Bien, arrêtons-nous là. Quand je pense à Monsieur Rikyû, je ne peux plus dormir ..." ... [...]

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