lundi 29 septembre 2014

Les Contes de la Lune Vague - Ueda Akinari (1)

Ugetsu Monogatari
Traduction, préface & notes : Roger Sieffert

Notre Avis

"Shiramine", qui débute l'anthologie de Ueda, offre un contexte politique qu'on ne peut bien saisir et apprécier que si l'on se réfère aux pages consacrées, à la fin du volume, par Roger Sieffert, à l'histoire de l'Empereur Toba et de ses successeurs. (Il ne faut pas le confondre avec l'Empereur Go-Toba évoqué par Tanizaki Jun'ichiro dans "Le Coupeur de Roseaux" et qui, lui, vécut et régna à la fin du XIIème siècle et non au début.) S'il n'y va pas regarder, il est certain qu'il ne comprendra pas grand chose à cette nouvelle pourtant fascinante.

Le spectre de l'Empereur-retiré Sutoku - qui fut forcé à l'exil par son grand-père, l'Empereur Shirakawa, et forgea, dit-on, le complot dit "de Högen", afin de reprendre le trône à son demi-frère, Konoe - apparaît au moine Saigyô alors que celui-ci passe la nuit au temple de Shiramine, consacré aux mânes de l'Empereur disparu :


Citation :
[...] ... Derechef, avec plus de ferveur encore, [Saigyô] pria. La rosée, ô combien ! devait imprégner ses manches ! ( 1 ) Comme le soleil se couchait, le caractère de cette nuit, au coeur de la montagne, lui parut insolite. Pour lit, une pierre ; pour couverture, bien froide, des feuilles d'arbres ; l'esprit clair, glacé jusqu'aux os, il éprouvait, sans raison aucune, de l'appréhension. La lune s'était levée ; toutefois, comme les bois épais étaient impénétrables à sa clarté, dans l'indécise obscurité, il fut envahi de tristesse ; il ne sommeillait pourtant pas lorsque, distincte, une voix s'éleva qui appelait : "En.i ! En.i !"

Ouvrant les yeux, il glissa un regard : un homme d'allure étrange, de haute taille, maigre et décrépit, dont il ne pouvait apercevoir ni la forme du visage, ni la couleur, ni le dessin du vêtement qu'il portait, se tenait là, tourné vers lui ; Saigyo, en moine depuis longtemps [averti] des principes de la Voie ( 2 ) ne s'en alarma point et l'interrogea : "Celui qui vient là, qui donc est-il ?" L'homme dit : "Je voudrais te faire entendre la réplique aux paroles que tu viens de réciter ; voilà pourquoi je me suis montré !" Il dit, puis :
A Matsuyama
sur les flots de l'exil
entraînée, ma barque
n'a guère tardé, las !
à disparaître !

"Ta visite m'est une joie !" A ces paroles, Saigyo connut qu'il était le fantôme du Second Empereur-retiré. Il toucha le sol du front et, versant des larmes, il dit : "Pourquoi errez-vous ainsi ? ( 3 ) Pour moi qui, vous enviant, certes, d'avoir fui, dégoûté, ce monde impur, cette nuit récitais la loi conformément à votre karma, vous avez daigné prendre une forme visible : je vous en suis reconnaissant et, cependant, j'en éprouve de la tristesse. Détaché de cette vie, l'ayant sincèrement oubliée, veuillez monter au rang de Parfait Bouddha !" Ainsi l'exhortait-il de tout son coeur.

( 1 ) : le rapprochement de "rosée" avec "manches" suggère l'idée de larmes.

( 2 ) : la Voie du Bouddha.

( 3 ) : l'homme qui meurt sans que ses passions se soient apaisées est condamné à errer, en proie à ces passions, jusqu'à ce qu'il ait atteint l'"illumination" (ou "satori"). Ce qui explique que, dans les en particulier, des moines puissent sermonner des fantômes. ... [...]

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