mardi 30 septembre 2014

Naufrages - Yoshimura Akira

Hasen
Traduction : Rose-Marie Makino-Fayolle


ISBN : 9782742746514

Notre Opinion
Personnages


Citation :
[...] ... Le jour se leva, la lumière matinale s'étendit sur la mer. Des éclaboussures jaillissaient sans relâche autour du bateau naufragé. On jetait des morceaux de bois et des planches par dessus bord.

- Ils sont en train de démolir le bateau ?

Isaku regardait de tous ses yeux.

- Ils sont construits avec du bon matériel, tu sais. On peut même récupérer les clous et les crochets. Et puis, dans les cuisines, on trouve des marmites, des fourneaux, des couteaux, des seaux et des baquets, et parfois même des meubles, ajouta Kensuke, d'une voix où pointait l'excitation.

Isaku
comprenait pourquoi, sur les indications du vieil homme, les villageois avaient pris des haches, des scies et des maillets. Le bateau était démonté et on jetait les débris à la mer.

Les morceaux étaient chargés sur de petits bateaux pour être ramenés à la plage. De là, ils étaient transportés à dos d'homme dans la montagne, derrière le village, à l'abri des arbres.

La mer était d'huile. Isaku et Kensuke la parcoururent du regard, mais ils ne distinguèrent pas l'ombre d'une voile. Les flocons de neige qu'ils croyaient apercevoir à l'est n'étaient autres qu'un groupe d'oiseaux de mer attirés par un banc de poissons évoluant à la surface de l'eau qui, réverbérant la lumière du soleil, étincelait. Sur le Nez-de-la-Marée, qui fermait la baie en face, il n'y avait pas de fumée non plus.

Deux petits bateaux s'éloignaient de l'épave pour se diriger vers le cap.

- Ils transportent les corps, dit Kensuke. ... [...]
 
 
Citation :
[...] ... La visite des bateaux, en évitant aux villageois de mourir de faim, était l'événement le plus heureux qui pouvait arriver, au même titre qu'une campagne de pêche exceptionnelle ou une bonne récolte de champignons ou autres végétaux dans la montagne, mais ailleurs, pour les gens des autres villages, c'était un crime passible des châtiments les plus extrêmes. Sans ces naufrages, le village aurait disparu depuis longtemps, laissant la place à une côte inhospitalière semée de rochers. Les naufrages avaient permis à leurs ancêtres de survivre sur cette terre, et les villageois se devaient de perpétuer la tradition.

Ils croyaient que l'âme des défunts partait loin dans la mer, et qu'après un certain temps, comme elle n'avait aucun autre endroit pour aller, elle revenait s'installer dans le ventre d'une femme enceinte. Isaku était bien décidé à quitter le village le moins possible quand il serait marié, et à perpétuer la tradition afin que les âmes ne soient pas désorientées.

Il pensait de temps en temps à sa propre mort. Son corps serait incinéré, ses cendres enterrées. Son âme quitterait le village pour s'en aller vers le large. Puis, après un long voyage, il arriverait enfin à l'endroit de la mer où se rassemblaient les âmes des villageois. Elles constituaient un village au fond de la mer, où tout était clair et transparent. Les plantes aquatiques y formaient une forêt ondulante, et les rochers étaient couverts de coquillages nacrés.

Des bancs de petits poissons phosphorescents aux reflets mordorés nageaient qui, lorsque le poisson de tête faisait volte-face, faisaient demi-tour d'un seul coup. Cela ressemblait au spectacle des flocons de neige tombant dru.

Le fond de la mer était toujours calme, et la température de l'eau constante. Les âmes étaient habillées de vêtements transparents comme des méduses, et leurs cheveux étaient lumineux. Leur visage brillait d'un éternel sourire et elles ne parlaient pas. Elles étaient aussi livrées au profond sommeil de la mort. Parmi elles se trouvaient sa grand-mère dont il n'avait qu'un vague souvenir, et sa petite soeur Teru qui était morte un an plus tôt, un peu avant le Nouvel An. Les autres qui se tenaient derrière étaient sans aucun doute celles des ancêtres. ... [...]

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