samedi 27 septembre 2014

La Folie Almayer - Joseph Conrad

Almayer's Folly, A Story of an Eastern River
Traduction : Anne-Marie Soulac
Annotations : Raymond Las Vergnas
Préface inédite : Sylvère Monod


ISBN : 9782070410651

Extraits
Personnages


Ce premier roman de Joseph Conrad contient déjà les principaux thèmes de son oeuvre, à savoir la déchéance à laquelle le désespoir et une vie faussée peuvent amener l'homme, le mystère incompréhensible de l'âme orientale et celui, encore plus énigmatique, de l'âme et des réactions féminines, le gouffre qui sépare - et séparera toujours - l'Occident et l'Orient. On peut y ajouter la tragédie car l'auteur d'origine polonaise, converti aux beautés de la langue anglaise, ne jouera jamais dans la cour des écrivains comiques.

Dans "La Folie Almayer", qui doit son nom à la maison construite par le héros au temps où il avait encore quelques illusions, tout est tragédie. A commencer par l'abordage qui fait du capitaine Lingard le tuteur d'une fillette née à bord d'un navire pirate malais. Puis viennent les années d'éducation imposée dans les meilleurs pensionnats et enfin le mariage avec Almayer, jeune homme plein d'avenir. A l'époque. Et à condition que son beau-père l'épaule. Almayer n'épouse en effet la jeune fille que dans l'espoir d'hériter du trésor de Lingard. Le plus mauvais motif pour une union entre deux êtres aussi dissemblables. Mais ce trésor existe-t-il ? Et, si oui, où diable est-il ?

Le jeune couple a un enfant, une fille, prénommée Nina, et son père reporte sur elle tout son amour et toutes ses espérances. Il rêve toujours de découvrir le trésor du capitaine hollandais. Mais ensuite, au lieu de s'éterniser en Malaisie, il partira. Avec Nina. Pour rejoindre une Europe fantasmée où tous, devant la fortune du père et la beauté eurasienne de la fille, s'inclineront comme on s'incline devant des monarques.
Seulement, il fallait s'y attendre, le Destin guette en la personne d'un jeune fils de rajah, Dain Maroola, venu demander son appui commercial à Almayer, et dont Nina tombe instantanément amoureuse.

L'intrigue prend son temps, à l'image de ce fleuve aux innombrables canaux qui enserre le village de Sambir, où se situe l'action. Cela serpente, s'arrête, piétine paresseusement avant de repartir avec nonchalance - et détermination. Le fleuve sait où il va, droit sur la mer, et Conrad sait où il va mener son héros, dans le vestibule d'une Mort qu'il attendra avec résignation, une pipe d'opium à la main. C'est lent, peut-être. Mais c'est surtout glaçant et implacable. Est-ce la Nature ici qui, comme dans "Au Coeur des Ténèbres", pousse les hommes qui n'y sont pas nés à la déchéance ? Ou Almayer, brave garçon au fond et père responsable, est-il né sous une mauvaise étoile qui le hante jusqu'à la chute finale ? La haine et le mépris que lui voue son épouse jouent-ils dans l'affaire le rôle que semble leur prêter Conrad ? A moins que ce ne soit la trahison de Maroola et cet amour passionné qui le lie à Nina qui soient les détonateurs ? Nina a-t-elle pleinement conscience de devenir le bourreau d'un père qui voulait pourtant le meilleur pour elle ? A-t-elle raison de vouloir vivre pour elle, abandonnant non seulement son père mais avec lui la part occidentale de sa nature ? Et cela lui portera-t-il bonheur ? ... Ou bien tout cela était-il prévu dès la naissance d'Almayer, tant il est vrai que certains, peut-être tributaires d'un karma précédent dont ils ne se rappellent plus rien, sont appelés à subir plus durement les verges du Destin ?
Pour ceux qui ne connaissent de Conrad que le célébrissime "Au Coeur des Ténèbres" et qui veulent aller au-delà, "La Folie Almayer" constitue une étape incontournable car elle pose les fondements, conscients et inconscients, de l'oeuvre tout entière. D'ailleurs, dans "Un Paria des Îles", qui sera le deuxième roman de Conrad, on retrouvera certains personnages et ce milieu étouffant, poisseux de chaleur et d'humidité et dégoulinant d'une haine et d'un mépris insidieux entre l'Homme blanc et l'Homme oriental. C'est dire combien l'auteur tenait à son premier essai romanesque et combien il le considérait lui-même comme important. Par conséquent, si vous vous intéressez à Conrad, ne passez pas à côté de "La Folie Almayer", qui n'a sans doute pas la puissance de "Lord Jim" ou du "Nègre du Narcisse", mais qui n'en demeure pas moins un premier maillon solide et prometteur.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire