Ugetsu Monogatari
Traduction, préface & notes : Roger Sieffert
Voici une anthologie à recommander et à recommander encore. Neuf contes à connotation fantastique
rassemblant tous les types de fantômes de la tradition japonaise et
chinoise à l'exception - la vie de l'auteur l'explique facilement - du
fantôme-renard. Outre les notes rassemblées à la fin du volume, le
traducteur nous offre, pour chacun d'eux, deux ou trois pages destinées à
replacer l'histoire dans son contexte - ce qui se révèle d'ailleurs
indispensable pour le premier conte. Pour apprécier cet ouvrage aussi
poétique que raffiné, il faut par conséquent ne négliger aucun des
outils mis à notre disposition d'Occidental pour saisir au mieux l'art
de Ueda Akinari. Ne lire que le texte des contes, à moins d'être
un japonisant expert, ne suffit pas. Pire : agir ainsi vous fera
automatiquement passer à côté de cette petite merveille qu'est l'"Ugatsu
Monogatari."
Il convient de rappeler avant tout que,
pour le Japon, la Chine classique a tenu un rôle à peu près similaire à
celui que jouèrent pour nous - et jouent toujours, quoi qu'en disent
certains - la Grèce et la Rome antiques. Il faut aussi préciser que le concept asiatique du fantôme diffère sensiblement du nôtre, ainsi qu'on peut s'en assurer par exemple dans les "Fantômes du Japon" de Lafcadio Hearn ou même dans les films d'épouvante venus non seulement du Japon mais aussi de Chine et de Corée.
Dans son "Ugetsu Monogatari", Ueda Akinari poursuit un but bien précis : raconter,
d'une façon inédite, des histoires de fantômes tirées pour la plupart
d'un vieux fond chinois, en donnant à son lecteur le plaisir d'y
retrouver, dépeints de façon résolument moderne, des faits, des
personnages, des intrigues mais aussi des pans entiers de récits qu'il a
déjà rencontrés dans des recueils chinois. Pour le lettré
nippon, c'était là une satisfaction d'un raffinement profond dont nous
ne pouvons que très difficilement percevoir l'intérêt.
En second - et en second seulement - vient le désir de constituer une anthologie réunissant les types classiques de fantômes : le spectre assoiffé de vengeance et ses variantes, guerrier ou femme abandonnée ("Shiramine - Buppôsô - Le Chaudron de Kibitsu"), celui qui revient remplir sa promesse ("La Maison dans les Roseaux - Le Rendez-vous aux Chrysanthèmes"), l'animal qui, sous le coup de la passion, s'incarne en un être maléfique ("L'Impure Passion d'un Serpent"), la folie conçue comme une possession démoniaque - idée par contre commune à l'Orient et à l'Occident ("Le Capuchon Bleu") et enfin non pas des spectres mais des incursions humoristiques dans le surnaturel ("Carpes tel qu'en songes ... - Controverse sur la Misère & la Fortune").
L'atmosphère qui se dégage de l'ensemble devient, pour le lecteur, un réceptacle précieux où
gisent, entremêlés, des rayons de lune que cachent à demi les nuages ou
un fin brouillard venu d'on ne sait où, des sources invisibles et
moussues au chant cristallin, des crépuscules qui n'en finissent pas de
frissonner, des samouraïs en armures émergeant soudainement de l'ombre
pour reprendre une bataille qui s'est déroulée bien des siècles
auparavant, des temples shintô abandonnés aux ombres et aux
renards, des masques de théâtre s'animant tout seuls, des créatures
belles et perfides, de sournois démons poussant de pauvres moines au
cannibalisme ... tout l'univers, en fait, du surnaturel japonais dont
les racines s'enfoncent dans le vivifiant terreau chinois.
Et
au-dessus de tout cela, souveraine, innée, plane l'élégance d'un style
qui, par delà la traduction, peut à bon droit prétendre à l'universalité
- le style du grand poète que fut Ueda Akinari.
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