lundi 29 septembre 2014

Les Contes de la Lune Vague - Ueda Akinari (2)

Dans "Le Rendez-Vous Aux Chrysanthèmes", l'amitié qui se noue entre le jeune lettré Hasabe Samon et le guerrier Akana Sôemon est si forte que, bien que brutalement séparé de son ami par une mort inattendue, Akana est fidèle au rendez-vous que les deux hommes s'étaient fixé pour la fête des Chrysanthèmes. Mais il est désormais un esprit errant :
Citation :
[...] ... dans la pénombre diffuse, un homme était là ; troublé de ce qu'il paraissait se déplacer au gré du vent, [le lettré] l'observa : c'était Akana Sôemon.

Samon
, le coeur bondissant d'allégresse, dit : "Votre petit frère vous a attendu depuis ce matin, tôt et jusqu'à cette heure ... Que, sans manquer à votre serment, vous soyez venu, quelle joie ! Allons, veuillez entrer !" Mais à ces mots, [l'autre] se contenta de faire un signe de tête et resta là, sans mot dire. Samon passa devant, l'accueillit devant la fenêtre du Sud, et le fit asseoir. "Mon frère aîné ayant tardé à venir, ma vieille mère, épuisée par l'attente, a pensé que ce serait pour demain et s'est retirée dans sa chambre. Je vais aller la réveiller !" dit-il ; Akana, secouant la tête une fois de plus, le retint, mais restait toujours sans mot dire. Samon dit : "D'être venu en poursuivant votre longue marche dans la nuit, vous devez avoir l'esprit las et les jambes fatiguées. Pour fêter cet heureux instant, versez-vous une coupe et mettez-vous à l'aise." Ce disant, il mit à chauffer du sake et disposa des mets ; quand il les lui présenta, Akana couvrit son visage de sa manche, comme s'il en redoutait l'odeur. ( 1 ) Samon dit : "Ce que mon effort a tiré du puits et du mortier à riz est trop peu de chose pour vous traiter dignement, cependant, le coeur y est. Ne le dédaignez point !" Akana, sans répondre encore, poussa un long soupir, puis il dit :"L'accueil sincère de mon sage frère cadet, quelle raison pourrais-je avoir de le repousser ? Je n'ai pas de paroles pour vous tromper, je vous parlerai donc avec franchise. Surtout, ne vous inquiétez pas !
Je ne suis pas un habitant du monde éphémère ( 2 ) ; je suis un esprit impur qui me montre sous une forme d'emprunt."

( 1 ) : à cette répugnance pour les nourritures terrestres, on reconnaît le fantôme.

( 2 ) : jeu de mots poétique sur le "monde réel", éphémère comme "l'enveloppe vide de la cigale", qu'elle abandonne en muant. ... [...]
 
  "La Maison dans les Roseaux" fait intervenir là encore un spectre fidèle, non plus à l'amitié mais à l'amour marital. Et ce spectre est une femme dont l'époux ne suspecte pas une minute l'essence surnaturelle pas plus qu'il ne peut imaginer que la maison qu'il retrouve après tant d'années n'est en réalité plus que ruines :
Citation :
[...] ... A cette heure, déjà, le soleil avait sombré à l'occident ; sous les nuages de pluie sur le point de tomber, il faisait sombre, mais, se disait-il, il ne pouvait s'égarer, puisque c'était un village qu'il avait longtemps habité ; il allait, écartant les herbes de l'été : l'antique pont s'était écroulé dans le cours de la rivière, et le sabot des poulains n'y résonnait plus ; les champs, délaissés, étaient retombés en friche, et l'on n'y distinguait plus les chemins d'antan ; les demeures de ceux qui avaient vécu là n'existaient plus. De-ci, de-là, quelques rares maisons qui subsistaient, paraissaient habitées, mais elles ne ressemblaient plus à ce qu'elles avaient été jadis. Il se tenait là, perplexe, à se demander laquelle de ces maisons il avait habitée quand, à une distance de vingt pas à peine, il distingua, à la lueur des étoiles qui se glissait entre les nuages, un pin brisé par la foudre, qui dominait les alentours ; c'était assurément celui qui marquait sa maison ; son premier mouvement fut de joie, et il s'avança ; la maison n'avait subi aucun changement. Il semblait que quelqu'un l'habitait ; par les fentes de la vieille porte, filtrait, scintillante, la lumière d'une lampe : était-ce un étranger qui l'habitait ? et si, par hasard, c'était [sa femme] qui s'y trouvait ? A cette idée, son coeur battit, il s'approcha du portail et toussota pour s'annoncer ; à l'intérieur, on l'avait aussitôt remarqué et l'on demanda, d'un ton soupçonneux : "Qui est là ?" Quoique très vieillie, la voix qu'il entendait était à coup sûr celle de sa femme ; - était-ce un rêve ? L'angoisse au coeur, il dit : "C'est moi ! me voici de retour ! Comme par le passé, vous habitez, seule, cette lande couverte de roseaux ; voilà qui est stupéfiant !" Reconnaissant sa voix, elle ouvrit aussitôt la porte ; toute noire et couverte de crasse, les yeux caves, les cheveux noués retombant dans le dos, il ne pouvait imaginer que ce fût là la femme d'autrefois. A la vue de son époux, sans mot dire, elle fondit en larmes. ... [...]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire