lundi 29 septembre 2014

Dojoji & Autres Nouvelles - Mishima Yukio

Dojoji, The Seven Bridges, Patriotism, The Pearl
Traduction (de l'anglais) : Dominique Aury
Extraits


Les quatre textes réunis par Folio dans ce petit ouvrage sont eux-mêmes extraits du recueil "La Mort en Eté", également paru chez Gallimard. Mishima insista pour qu'elles fussent traduites directement du texte anglais. Celui-ci avait été obtenu, à parit de l'original japonais, par Donald Keene (pour "Dojoji" et "Les Sept Ponts") et Geoffrey W. Sargent pour les deux dernières nouvelles.


Reprise moderne de l'un des classiques du théâtre , "Dojoji", courte pièce en un acte, conserve son titre originel, lequel fait allusion au temple où se déroule l'histoire primitive. Mishima a également conservé le thème central, à savoir les méfaits de la jalousie. En revanche, personnages et contexte ont complètement changé.

A la différence de l'héroïne maléfique de la légende qui, par jalousie, tue le moine dont elle est amoureuse, la Kiyoko de Mishima est une victime. Son amant l'a tout d'abord quittée pour suivre une autre femme avant de s'enfuir définitivement dans la Mort. Assommée, gravement dépressive - mais qui ne le serait pas ? - Kiyoko est persuadée qu'il ne lui reste plus qu'à se défigurer dans les lieux mêmes où mourut l'homme aimé. Aux thèmes majeurs de la jalousie et de la souffrance, Mishima ajoute celui, tout aussi important, de la valeur réelle que l'on doit accorder à la beauté : après le décès brutal de son amant, Kiyoko, qui est très belle, se demande à quoi lui sert toute cette beauté et souhaite même la détruire tant elle lui apparaît vaine ...

"Les Sept Ponts" se déroule dans le milieu des geishas. Trois hôtesses de la Maison des Lauriers et Masako, la fille de leur patronne, décident d'accomplir un curieux pèlerinage. Afin que leur voeu secret se réalise, il leur faut, de nuit, franchir sept ponts parmi les plus importants de la ville en s'arrêtant pour prier à chacun d'eux. Condition primordiale pour garantir le succès de l'opération : pendant toute la durée de l'opération, elles ne doivent, sous aucun prétexte, adresser la parole à personne.
Les quatre femmes s'en vont donc, suivies de Mina, une servante nouvelle venue aux Lauriers et réputée comme particulièrement fruste et obtuse mais que la mère de Masako a chargée de veiller sur l'équipée de sa fille. Une à une et pour des raisons diverses, les pèlerines se voient contraintes à l'abandon. Seule Mina parvient à tenir bon, au grand dam de Masako, qui ne l'aime guère. La nouvelle se termine le lendemain, sur la jeune fille taquinant Mina afin qu'elle lui révèle son voeu. Cette promenade nocturne paraît avoir établi entre elles une relation nouvelle et moins tendue. Mais le voeu de Mina n'était-il pas, justement, de voir les autres jeunes femmes échouer ? ...

"Patriotisme", qui raconte par le menu le double suicide du lieutenant Takeyama et de sa femme, tous deux jeunes mariés, n'est pas à conseiller aux âmes sensibles ou suicidaires. Non que le talent de Mishima lui fasse défaut, bien au contraire. Mais l'écrivain y détaille avec un tel soin la scène du seppuku de Takeyama qu'il en finit par hypnotiser son lecteur, qu'il ait le coeur au bord des lèvres ou pas. L'effet en gênera plus d'un, c'est sûr.

D'un seul coup, on prend conscience de l'intensité de la fascination avec laquelle l'auteur japonais envisageait cet atroce rituel de mort. La description de la douleur pratiquement intolérable qui saisit l'officiant quand il s'éventre prouve en outre que Mishima avait non seulement anticipé ce moment dans son propre sacrifice mais qu'il ne doutait pas d'en tirer une jouissance qu'il ne tenait certes pas pour morbide. (La photo de l'expression faciale de Mishima à ses derniers moments montre d'ailleurs que tel fut le bien le cas.) Et l'on se rappelle alors combien il aimait à expliquer que son premier plaisir sexuel, il le prit à la pré-adolescence, devant une gravure représentant le martyr de Saint Sébastien - fait plus tard relaté dans "Confessions d'un masque."


Dernière nouvelle du recueil, "La Perle en est sans doute la plus humoristique. Mishima y dépeint, avec finesse et drôlerie, comment la disparition d'une perle à l'occasion d'un goûter d'anniversaire réunissant quatre bonnes amies va redéfinir les relations qui étaient les leurs jusque là. Ces dames appartenant à la haute bourgeoisie, tout cela se double d'une critique assez cruelle de leur caste sociale.

Au-delà la traduction, on se laisse comme toujours absorber par la perfection du style Mishima, un mélange de poésie naturelle et de réalisme un peu maniaque qui culmine dans "Patriotisme", l'une des nouvelles préférées de son auteur
. A propos de "Patriotisme" justement, on constate que la puissance créatrice du romancier est telle qu'il entraîne avec aisance son lecteur avec lui, dans cette espèce de cauchemar éveillé qui clôt le texte, et ceci sans que le lecteur en question songe à protester. On est tenté d'écrire que la fascination de Mishima fascine ceux qui la contemplent par le prisme de la lecture. C'est un peu, ma foi, comme si Mishima nous invitait par procuration à son propre seppuku et, s'il y a là-dedans une forme de narcissisme absolu - qui n'étonne pas chez le personnage - on sent aussi qu'il s'agit là d'un honneur fait avec une rare élégance à toutes celles et tous ceux qui aiment et admirent son oeuvre.

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