lundi 29 septembre 2014

Les Contes de la Lune Vague - Ueda Akinari (3)


Voici l'incipit de la nouvelle la plus humoristique du recueil, "Carpes telles qu'en songe ..." Précisons d'ailleurs que, dans ce texte, il n'est pas vraiment question de fantômes mais plutôt de rêves :

Citation :
[...] ... Il y a de cela bien longtemps - c'était aux environs de l'Ere Enchô (923 - 930) - vivait au temple de Mii un moine du nom de Kôgi. Par son talent de peintre, il avait acquis un nom dans le monde. Ce qu'il peignait habituellement, ce n'étaient pas les images de Bouddhas, les monts et les eaux, les fleurs et les oiseaux. (1) Les jours où le service du temple lui laissait des loisirs, il faisait voguer sa barque sur le lac ; aux pêcheurs qui tiraient leurs filets ou pêchaient à la ligne, il donnait quelques piécettes, et relâchait dans l'onde natale les poissons qu'ils avaient pris (2) ; quand il voyait les poissons s'ébattre, il les peignait ; et de la sorte, les années s'écoulant, il avait atteint une merveilleuse précision.

Un jour qu'il concentrait son esprit sur une peinture, il s'était laissé aller à s'assoupir, et voilà qu'en songe, il pénétrait dans l'onde et s'ébattait en compagnie de poissons, grands et petits. Sitôt revenu à lui, il les peignit tels qu'il les avait vus, fixa [la peinture] au mur et s'exclama : "Carpes telles qu'en songe ! ..." Ainsi la nomma-t-il. Ceux qui, appréciant le caractère merveilleux de cette peinture, désiraient l'acquérir, se la disputèrent, mais lui qui cédait aux prières et donnait [ses oeuvres] lorsque ce n'étaient que monts et eaux, fleurs et oiseaux, il gardait jalousement la peinture des carpes et, à tout un chacun, il déclarait, plaisantant : "A des laïcs qui tuent des êtres vivants et mangent du poisson cru, je ne donnerais certes point des poissons élevés par moi, un maître de la Loi !" Dans tout l'empire, on parla de cette peinture, en même temps que de cette boutade.

(1) : "sanshui kachô" = "monts et eaux, fleurs & oiseaux" ou, dit en d'autres termes, "paysages et scènes de la nature."

(2) : pour un bouddhiste, relâcher des êtres vivants est une oeuvre méritoire. ... [...]
 
 
"Buppôsô" reprend le thème du spectre guerrier - mais ils sont ici toute une armée et même une véritable cour, dans le sillage du prince Hidetsugu Toyotomi qui, au XVIème siècle, fut accusé de comploter contre son oncle, le prince Hideyoshi, lequel l'avait pourtant adopté et nommé Grand Rapporteur (ou "kampaku.")

Rélégué dans un monastère du mont Kôya, Hidetsugu, que sa cruauté légendaire avait fait surnommer par ses administrés le "Kampaku-Tueur", fut condamné à y accomplir le suppuku et les membres de sa famille, ses courtisans et ses soldats furent contraints, eux aussi, à se donner la mort, ce qu'ils firent au lieu dit "la Tombe-des-Scélérats" et qui passe depuis pour un lieu hanté. Les héros du conte de Ueda, le moine Muzen et son fils, Sanoji, vont l'expérimenter par eux-mêmes :
Citation :
[...] ... Au village d'Ôka, [dans la province] d'Ise, un homme de la famille Hayashi avait très tôt cédé [les biens de] ce monde à ses héritiers ; sans aucun sujet de crainte, il avait fait tomber sa chevelure (1), et avait changé son nom en celui de Muzen ; il n'avait jamais souffert d'aucune maladie, aussi faisait-il des nuits passées ici et là, au hasard des voyages, le divertissement de sa vieillesse. Le caractère mal dégrossi de son dernier-né, Sanoji, lui donnait de l'inquiétude ; voulant lui faire voir les gens de la capitale, il demeura [avec lui] un mois et plus dans sa villa de la Deuxième Avenue ; à la fin de la troisième lune, ils virent les fleurs [des cerisiers] à l'intérieur des montagnes de Yoshino, et furent sept jours environ à s'entretenir avec les moines d'un monastère où ils étaient connus ; à cette occasion : "Nous n'avons pas encore vu le mont Kôya ; eh ! bien, allons-y !" se dirent-ils, et aux premiers jours de l'été, se frayant un passage à travers l'exubérante végétation, ils traversèrent Ten-no-kawa et, à partir de là, parvinrent à la sainte montagne Mani. L'escarpement du chemin avait retardé leur marche et le soleil avait décliné sans même qu'ils s'en fussent aperçus.

Ils s'inclinèrent successivement, sans en omettre aucun, devant tous les autels, les temples et le sanctuaire [dédiés à Kôbô-daishi] ; mais ils avaient beau demander l'hospitalité, nul ne leur répondait. Ils s'enquirent des règles du lieu auprès de quelqu'un qui passait par là : "Qui n'a de relations dans un monastère ou une communauté de moines, il lui faut descendre au pied de la montagne et y passer la nuit. Sur cette montagne, on ne donne l'hospitalité pour la nuit à aucun voyageur," leur dit-il. Que faire ? Il était naturel qu'un vieillard, en entendant cette explication, alors qu'il venait déjà de parcourir un abrupt chemin de montagne, se sentît découragé et à bout de forces. ...

(1) : il s'était fait moine et avait adopté un nom religieux.

(2) : Kôbô-daishi : Grand Maître, titre donné à de nombreux saints bouddhiques.[...]

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