mercredi 24 septembre 2014

Les Hauts de Hurle-Vent - Emily Brontë

Wuthering Heights
Traduction : Frédéric Delebecque


Personnages


Pour le lecteur du XXIème siècle un tant soit peu féru de littérature du XIXème, "Les Hauts de Hurle-Vent" est un véritable coup de poing qu'il reçoit, bouche bée, en plein dans l'estomac.
Où diable donc cette fille de pasteur protestant, qui ne se plaisait que dans la solitude grandiose mais effrayante du Nord du Yorkshire et qui mourut la trentaine à peine achevée, sans avoir pratiquement rien connu du reste de l'univers, oui, dans quels tréfonds de la conscience collective a-t-elle pu puiser cette lave noire, brûlante et tempétueuse qui constitue les fondements mêmes des "Hauts ..." ?

Déjà, le style surprend. C'est un caractère plus masculin que féminin qui se révèle ici. Mais cela va bien plus loin : le trait est ferme, dur, précis ; la construction, en dépit de ses récits emboîtés, a la solidité du granit ; les héros maudits sont d'une seule pièce - et seule la mort parvient à démasquer cette complexité qu'ils n'ont jamais cherché à comprendre en eux parce qu'ils voulaient trop en jouir ; les autres personnages (Lockwood, Nelly Dean, Isabel et Edgar Linton, l'affreux Joseph, les Earnshaw, grand-père, père et fils, le fils Heathcliffe ...), plus francs sans doute et moins volontaires que le couple Catherine-Heatcliffe, forment un choeur à la hauteur du texte et des paysages. Quant aux décors, à mi-chemin entre le gothique radcliffien et la tradition terrienne qu'illustrera plus tard Thomas Hardy, ils sont parfaits.

Si l'on excepte les conventions en vigueur à l'époque dans la société anglaise et qui, bien entendu, réapparaissent çà et là, "Les Hauts de Hurle-Vent" pourrait passer pour avoir été écrit au XXème siècle.
C'est aussi l'un des plus belles histoires de fantômes et de vampires qu'il m'ait jamais été donné de lire. Car Heathcliffe se comporte bel et bien comme un vampire qui, poussé par la vengeance, veut enlever la vie à ceux qu'il hait. C'est à croire que, tel un vampire, il ne peut survivre que s'il pille la force vitale des autres. D'ailleurs, quand sa complaisance pour Hareton lui fait comprendre que cet instinct est moribond, Heathcliffe se tourne directement vers la Mort, afin d'y retrouver Cathy. Il retourne, semble-t-il, là d'où il était venu, enfant mystérieux et à demi-muet qu'un soir de tempête, le Hasard avait placé sur la route du vieux Mr Earnshaw.

Les fantômes sont nombreux et, en bons fantômes, impalpables : lorsqu'il passe la nuit chez Heathcliffe, Mr Lockwood est vite persuadé d'avoir eu affaire à celui de Cathy. Et lorsqu'il en parle à son hôte, celui-ci, si sarcastique qu'il soit, paraît touché. A la fin du roman, lorsque la Mort aura uni Heathcliffe et Catherine, un petit berger jurera même à Mrs Dean "les" avoir vus, "là-bas" ...

Jusque dans leurs apparitions spectrales, ils conservent d'ailleurs quelque chose qui continue à évoquer le vampirisme.
Dans ce roman atypique, dont on devine combien il put choquer les bien-pensants, la perversion gît aussi tout au fond de la passion qui lie Heathcliffe à Catherine Earnshaw. L'un comme l'autre, ils ressemblent à de jeunes fauves pour lesquels les conventions sociales n'existent pas. Certes, ils ne sont pas frère et soeur mais il y a un curieux relent d'inceste dans certains mariages que nous égrène Emily Brontë : Heathcliffe épouse la soeur d'Edgar, son fils épousera la fille d'Edgar et de Catherine et celle-ci se remariera avec le neveu de sa mère ... (L'un des autres héros de la fratrie Brontë était, soulignons-le, lord Byron.)

La sexualité n'est évidemment pas abordée au grand jour mais celle d'Heathcliffe, Bunuel ne s'y est pas trompé, a des airs de nécrophilie. Edgar Linton est efféminé (en tous cas au début) alors que Catherine Earnshaw a quelque chose de masculin, etc, etc ... Mis à part Heathcliffe et Hareton Earnshaw d'ailleurs, les hommes sont bien maltraités dans ce roman.


Un livre étrange dans tous les sens du mot, une espèce d'ovni littéraire au style résolument moderne, l'une des plus belles perles noires de la littérature anglaise.

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