mercredi 24 septembre 2014

Le Golem de Londres - Peter Ackroyd (Grande-Bretagne)

Dan Leno & The Limehouse Golem
Traduction : Bernard Turle


C'est partagé entre deux impressions opposées que l'on sort de ce livre. Tout d'abord, on pense qu'il ne s'agit là que d'un petit roman qui conte le parcours d'un (ou d'une) psychopate dans le Londres victorien. Le style en est dense, très "XIXème" d'ailleurs mais sans recherches excessives : c'est du littéraire correct, de bon ton mais sans plus. Bref, on serait presque déçu. Et pourtant, on a envie de lire d'autres oeuvres de Peter Ackroyd.

Pourquoi ?


C'est que cet auteur a une façon tout à fait inhabituelle de traiter le Temps au travers de l'écriture.
Une façon qui, sur le plan purement technique, n'est absolument pas extraordinaire et pourtant, si on se laisse porter, on n'est pas loin d'évoquer cette manière sociale qui était le propre des grands romanciers du XIXème, Zola en France ou Dickens en Grande-Bretagne. C'est puissant, solide et surtout - plus que chez Zola qui, sauf peut-être dans "La Joie de Vivre", s'est défié toute sa vie des interventions du "Ca" - c'est souterrain.

De plus, ce qui ne gâte rien, Ackroyd est visiblement un passionné d'Histoire et un être véritablement cultivé - un peu à la manière de Umberto Eco mais sans le côté latin de celui-ci.

Et l'intrigue, me direz-vous ?
Eh ! bien, nous sommes en 1880, soit huit ans avant l'entrée en scène de Jack l'Eventreur, à Whitechapel. Un assassin invisible et insaisissable opère à Londres, dans une enclave de Whitechapel, Limehouse. Mais s'il tue tout d'abord une prostituée, il s'en prend ensuite à un vieil érudit juif et finit par massacrer toute une famille, pour faire pendant au meurtre de Mr et Mrs Marr et leurs enfants, qu'évoque Thomas de Quincey dans son célèbre "De l'assassinat considéré comme un des Beaux-Arts."

L'opinion publique a fini par donner à cet assassin le surnom de "Golem de Limehouse" et, pour le lecteur du XXème siècle, il y a de toute évidence rapprochement entre ce surnom et le roman de Gustav Meyrinck : "Le Golem", dans lequel cette figure d'une légende juive devient en fait l'âme du vieux Prague. Dans "Le Golem de Limehouse", c'est Londres qui est ici en vedette, plus précisément l'East End et sa misère, avec tout ce que la pauvreté peut inspirer (et imposer) d'horreurs à l'être humain.

Ackroyd alterne un récit à la troisième personne avec les passages d'un journal tenu par l'assassin présumé. En arrière-plan, de plus en plus envahissante, l'épouse de l'assassin, Elisabeth Cree, ancienne artiste de music-hall et partenaire de l'un des artistes les plus célèbres de l'époque : Dan Leno, qui officia même à Sandrigham, ce qui lui valut le surnom de "Bouffon des Rois."

Apparaissent aussi épisodiquement Karl Marx, Oscar Wilde, l'écrivain George Gissing (qui sera suspecté un temps), très souvent à la Bibliothèque du British Museum.

Toujours sous-jacents, le thème de l'homosexualité, affirmée ou pas, et celui de l'identité sexuelle qui domine en fait l'intégralité du roman même si on ne s'en aperçoit pas tout de suite.

Un livre déconcertant qui est, à mon avis, de ceux qui méritent une relecture car il ressemble à ces tableaux qui paraissent ne pas représenter grand chose ou alors quelque chose de tout à fait banal, mais qui, si on les approche au plus près - si l'on s'enfonce dans le tableau - révèlent une incroyable richesse.

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