Préface : Jean-Louis Curtis
ISBN : 9782715202146
Extrait
Rien ne prédisposait Samuel Pepys, fils d'un tailleur et d'une blanchisseuse, à devenir le diariste que les historiens se garderaient bien de contourner lorsqu'ils veulent s'offrir un point de vue pour ainsi dire complet sur l'Angleterre des années 1660. Et pourtant, même si vous n'êtes pas historien mais si vous vous intéressez un tant soit peu au règne de Charles II et à la Grande-Bretagne de cette époque, fatalement, vous finirez par tomber sur Pepys et son invraisemblable "Journal."
Attention ! "Invraisemblable" ne signifie pas ici que Pepys raconte tout et n'importe quoi - bien qu'il y note certains détails sur Louis XIV et ses premières favorites qui eussent fait aimablement se gausser notre Saint-Simon national. Non, en fait, ce "Journal" est pour nous "invraisemblable" parce que nous avons bien cru n'en voir jamais la fin - et ceci bien que nous n'ayons eu en mains que l'édition du Mercure de France et non celle, deux fois plus imposante, parue dans la collection Bouquins, dans un coffret de deux volumes.
Non que ce que nous conte Pepys soit inintéressant ou dépourvu de réel intérêt historique. Mais, du début jusqu'à la fin de ce texte surprenant, règne un narcissisme que, jusqu'ici, nous n'avions rencontré que ... chez Anaïs Nin - c'est vous dire

De son propre aveu, Pepys ne destinait pas ces pages à la publication. Pour les écrire, il utilise d'ailleurs une sorte de sténographie ou de code. En ce qui concerne ses frasques sexuelles, il prend aussi la précaution de les rédiger non seulement en code mais en mélangeant l'anglais, le français, l'allemand et le latin, voire un peu d'italien et d'espagnol. Tout à coup, dans le texte, ces phrases "taboues" nous sautent aux yeux et nous les déchiffrons, bouche bée, avant de les relire en nous moquant plus ou moins du mélange de ruse et de naïveté qui les caractérise. Il y a du personnage de Molière chez Samuel Pepys, un hybride de Chrysalde et de Monsieur Jourdain qui réjouit et exaspère tour à tour.
Avec ça, noyées dans tout ce fatras égocentrique qui, malheureusement, n'atteint pas à la hauteur, si échevelée qu'elle soit, d'un Chateaubriand, des pages très belles, très fouillées et confondantes de sincérité et d'humanité sur l'épidémie de peste qui sévit dans la capitale anglaise en 1665 et qui fut suivie, l'année suivante, du fameux "Grand Incendie" qui, certes, épura la ville mais au prix de combien de malheureux jetés à la rue dans le plus grand dénuement.
En résumé, un ouvrage à recommander aux seuls amateurs de journaux intimes sur fond historique. Mais un ouvrage qui, tour à tour, choque, intrigue, ennuie, fascine, fait sombrer dans la torpeur, rappelle à la vie par une pointe aussi brusque qu'étonnante, émeut, fait crier au mufle et à l'imbécile, attendrit aussi et restitue le portrait, peint de main de maître, d'un narcissique de haute volée qui, au moins, chercha à dépasser ce qu'il sentait bien être un défaut difficilement pardonnable à un homme honnête. Ce que Samuel Pepys se voulait avant tout.

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