samedi 27 septembre 2014

Frances Burney (II)

Dès qu'il eut pris conscience de leur potentiel supérieur, leur père avait favorisé l'éducation d'Esther et de Susannah. La petite Frances en revanche, à huit ans, ne connaissait pas encore son alphabet, lacune qu'on attribuera par la suite à une dyslexie dont elle aurait souffert mais que l'époque n'avait pas les moyens de diagnostiquer.
A dix ans cependant, elle commence à apprendre à écrire par ses propres moyens, pour s'amuser. C'est l'époque à laquelle Esther et Susannah partent pour un pensionnat parisien. Dans le même temps, Frances se plonge dans la bibliothèque familiale et, notamment, dans les "Vies" de Plutarque, l'oeuvre de Shakespeare et divers volumes d'histoires, de sermons, de poèmes, de pièces de théâtre sans oublier les romans et les manuels de savoir-vivre. Tout cela lui servira plus tard lorsqu'elle même songera à l'écriture.

Parmi les connaissances de Charles Burney, figure Samuel Crisp, un homme de lettres qui n'a guère connu le succès mais qui encourage la fillette, puis l'adolescente, à écrire. Elle lui envoie de longues lettres-journaux dans lesquels elle raconte ce qui se passe dans sa famille mais aussi dans leur cercle d'amis londoniens. 

 Le 27 mars 1768, Frances Burney inaugure son premier "Journal" en s'adressant à "Miss Nobody / Mademoiselle Personne". Elle le tiendra ainsi pendant plus de soixante-douze ans. Conteuse-née, avec un sens aigu des personnages, Burney rédige souvent ses "journaux" sous la forme d'une correspondance avec sa famille ou ses amis, leur rapportant les évènements de son existence et ses observations sur tout, à commencer par eux-mêmes. Ces pages contiennent aussi la liste de tous les livres qu'elle a lus dans la bibliothèque paternelle, des notes sur les visites et le comportement des personnes, artistes et autres, reçues chez son père. On notera que le lien très vif qui unit Frances à sa soeur Susannah explique pourquoi elle correspond plus particulièrement avec celle-ci.

Burney avait quinze ans lors du remariage de son père. Il semble que l'ex-Elizabeth Allen n'ait pas goûté la passion qu'avait sa nouvelle belle-fille pour l'écriture. A cette époque, Frances note dans son "Journal" que, pour sa belle-mère, "écrire n'est pas digne d'une dame." Sous l'impulsion de la nouvelle Mrs Burney, par peur peut-être, l'adolescente jette au feu son premier manuscrit, "The History of Caroline Evelyn / Histoire de Caroline Evelyn", qu'elle avait rédigé en secret. Mais elle ne peut renoncer aussi aisément à l'écriture de son "Journal" ... Et puis, elle reprendra peu à peu les idées de son manuscrit incendié pour son premier roman, "Evelina".


En 1778, à l'âge de vingt-six ans, Frances Burney publie anonymement "Evelina or the Story of a Young Lady's Entrance into the World / Evelina ou l'Histoire de l'Entrée dans le Monde d'une Jeune Demoiselle." Son père ne sait rien et n'a donc pu donner son accord éventuel. Le texte sort chez Thomas Lowndes après avoir été refusé par Robert Dodsley - précisons que ce dernier ne voulait pas l'éditer sans indication d'auteur. Pour que cet anonymat soit total, la jeune fille a déguisé son écriture ... A l'époque en effet, il est tout simplement inconcevable qu'une jeune fille, à plus forte raison née dans la bonne société, se fasse romancière et publie sous son nom. Pour l'édition de son second roman, Frances bénéficiera d'ailleurs de l'appui de son frère James, qui endossera l'identité du signataire.

Tout à fait ignorante en matière de négociations avec les libraires et éditeurs, Frances ne retire que vingt guinées de son roman, lequel reçoit pourtant un excellent accueil de la critique. L'oeuvre se signale par sa vision comique de la riche société anglaise, le réalisme de ses portraits et sa retranscription du parler londonien. Lorsqu'il finit par apprendre la véritable identité de l'auteur, le père de Frances est favorablement impressionné par toutes les louanges reçues par le roman. Il va désormais la soutenir, pas mécontent au fond de posséder dans sa famille un auteur à succès.

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