jeudi 18 septembre 2014

Eldorado - Laurent Gaudé

ISBN : 9782290006542


Oui, je sais. Vous vous dites déjà : "Ouh ! là, pas d'extraits annoncés, par même un tout petit ! C'est grave ! ..."  Mr. Green Alors, je précise tout de suite :

1) que je n'ai rien contre Laurent Gaudé dont j'ai aimé "La Mort du Roi Tsongor" et dont j'ai encore dans ma PAL "Le Soleil des Scorta" et "La Porte de l'Enfer" ;

2) que la lecture de son "Eldorado" avait été prescrite par l'EN (!!) aux élèves de Seconde dans le lycée de ma cadette, sans quoi je n'aurais jamais eu ni l'idée, ni le courage de me coltiner un tel pensum     ;

3) et que je tire tout de même mon chapeau à l'auteur   pour avoir réussi à slalomer non sans grâce entre l'"angélisme" classique et la consternante bien-pensance auxquels incite, en notre triste époque, le thème qu'il avait choisi - tout au moins quand on ne veut pas se faire traîner en justice par certaines associations dont je ne citerai pas les noms parce que ce serait leur faire trop d'honneur.  

Le problème, je pense, c'est que nous devons tous payer des impôts (surtout à notre époque   ) et que ce doit être pour cette seule raison que Gaudé a commis cette cho ... ce roman - il faut bien vivre !  lol!

Vous êtes prêts ? ... Bon, on y va, alors.  

Il y a de cela bien longtemps, en une époque où les religieux, pour ne citer qu'eux, croyaient encore dur comme fer que la Terre était plate, un certain Christophe Colomb - dont le portrait réalisé par Sebastian del Plomo présente une ressemblance criante, soit-dit en passant, avec les traits de l'irremplaçable et à jamais regretté Coluche (si vous ne me croyez pas, voyez ici) - s'en fut sur les mers et prouva à tous qu'ils se trompaient et que non, la Terre n'était pas plate. Aussitôt, il se trouva des monarques, des prêtres, des généraux, des mercenaires et des aventuriers pour s'en aller vers les nouvelles terres acquises par Colomb à la couronne d'Espagne et une légende courut tout aussi vite : dans ces contrées lointaines, il existait des villes prodigieuses, entièrement faites d'or, d'argent et de métaux précieux. D'où le surnom d'"Eldorado" - je ne vous fais pas la traduction - qu'on donna à ces pays mystérieux, peuplés entre autres d'"Indiens" qui offraient régulièrement en sacrifice à leur dieu de la guerre, le grand Huitzlipotchli, le coeur encore palpitant d'innombrables prisonniers ... S'il y avait certes beaucoup d'or dans les nouvelles colonies espagnoles, il n'y eut bien sûr jamais de ville intégralement bâtie à partir du précieux métal et nombreux furent ceux qui s'embarquèrent dans la certitude de cet "Eldorado", pour revenir de leur voyage - quand ils en revenaient - aussi pauvres qu'ils étaient partis et la désillusion amère au coeur.

Aujourd'hui, l'Eldorado, c'est l'Europe et, de façon générale, le monde occidental. Les malheureux bourrés d'illusions viennent d'Orient, en particulier d'Afrique et ils sont, il faut bien l'avouer, aussi sûrs et certains de découvrir chez nous l'Eldorado que les aventuriers espagnols et portugais du temps jadis l'étaient d'aborder un jour dans leurs merveilleuses villes aux murailles d'or pur. Je n'évoquerai pas les ravages que ce mythe d'une Europe où tout le monde est riche et où l'on n'aperçoit aucun sans abri dans les rues, a fait, fait et fera encore de part et d'autre de la Méditerranée : si vous prenez vos informations comme moi sur le Net - et non dans les medias aux ordres - vous les connaissez par coeur.   

Laurent Gaudé a donc décidé de s'attaquer au sujet en tentant, non sans courage, d'éviter le manichéisme. A-t-il réussi ? Pas avec moi, en tous cas mais il est vrai que j'ai un mauvais fond.

Disons déjà, pour commencer, qu'un sujet de cette importance ne peut se traiter en 219 pages : trop de ramifications, trop de détresse humaine, trop de questions (sociales, culturelles, historiques, etc ...) soulevées. Là où il faudrait une fresque puissante et protéiforme, Gaudé nous donne une miniature appliquée et réductrice. Les chapitres impairs sont consacrés au parcours spirituel de Salvatore Piracci, l'un de ces gardes-côtes qui arrêtent les immigrants clandestins (ou plutôt tentent de le faire) à Lampedusa, les pairs à celui de Suleiman, un jeune Noir islamisé qui, poussé par son frère, tente de rejoindre l'"Eldorado." A un certain moment, les routes des deux hommes vont se croiser et ce sera un peu grâce à Piracci - qu'il aura pris d'ailleurs pour Massambalo, esprit protecteur - que Suleiman ne perdra pas tout espoir.

Parce qu'il faut que je vous explique que Piracci, en pleine crise morale et spirituelle, est pris tout d'un coup de l'idée parfaitement stup ... admirable   de tout quitter pour se rendre, sans papiers, sans argent, sans RIEN, en Afrique du Nord. Tout ça dans sa petite barque de pêche, celle qu'il avait chez lui, à Catane. C'est que le pauvre homme ne voit plus du tout de sens de sa vie : toute cette invasion de pauvres hères qu'il ne parvient ni à endiguer, ni à contrôler, il ne la supporte plus. Tous les jours, ou presque, ça recommence et il ne compte plus ceux qu'il a arrêtés plusieurs fois parce que, même s'ils sont renvoyés dans leur pays d'origine, ils  s'entêtent à essayer et réessayer toujours. Le mythe fabuleux de l''"Eldorado", y a pas à dire, a la vie dure.  

Bien que Gaudé n'insiste guère sur ce point, Piracci est, sans conteste, une espèce de personnage christique que nous autres, Occidentaux, pouvons être fiers de compter parmi nous. (Eugène Sue aurait pu le mettre dans ses romans, c'est dire.)     Tellement bien d'ailleurs que certains esprits moqueurs le jugeront dénué de toute crédibilité mais passons.   De l'autre côté, Suleiman est jeune et sans expérience, avec les illusions qui vont à cet âge mais attention, lui aussi, c'est un type bien. Gaudé fait très fort dès le départ en nous expliquant que Jamal, le frère de Suleiman, a contracté le Sida et préfère en conséquence ne pas suivre son cadet, persuadé qu'il est de finir à sa charge sur cette route si longue et si dangereuse. (Bien entendu, c'est avec des prostituées noires, de sexe exclusivement féminin, que Jamal a contracté le Sida. Apparemment, il ne connaissait pas l'usage des préservatifs ou alors, ceux-ci étaient contraires à sa religion, à sa culture et plus encore à son plaisir.) Mais à part ça, il faut le dire, Jamal aussi est un type drôlement bien.  Mr. Green 

Abandonné à ses seules ressources, Suleiman va rencontrer toutes sortes de gens qui eux, ne sont pas bien du tout, des malhonnêtes infâmes qui - la chose par contre m'a beaucoup étonnée avant de m'intriguer encore plus    - sont tous soit libanais, soit arabes, soit noirs.   Absorbé dans sa quête christique et son "pèlerinage aux sources", Piracci rencontrera d'ailleurs à peu près les mêmes. Tenez-vous bien : j'ai eu beau faire, je n'ai trouvé aucun Occidental impliqué dans ces ignobles trafics (il doit pourtant y en avoir mais Gaudé a sans doute tenu à ne pas compliquer les choses ... Wink ) Certes, il y a les gardes-côtes italiens mais après tout, ce ne sont que des militaires qui exécutent la mission qu'on leur a donnée et Gaudé ne les critique pas un seul instant. Il est bien moins aimable pour leurs homologues marocains et, si cela déplaira sans nul doute à certains, moi, je l'avoue, j'ai apprécié.  

Néanmoins, toute cette histoire, ces voyages initiatiques entrecroisés (celui de Suleiman qu'on peut comprendre et celui de Piracci, dont on met longtemps à comprendre la signification réelle) la légende de Massambalo, les sables du désert, les invocations à Dieu en diverses langues, tous ces "frères" qu'on échange à tout-va alors qu'on n'a jamais gardé les chèvres ensemble,   le sida qui s'attaque au pauvre Jamal parce qu'il a péché, le non moins pauvre Suleiman, obligé de voler l'un de ses compagnons pour poursuivre son voyage, les "méchants" absolument imbuvables (il y a même une femme parmi eux, vous vous rendez compte ?  et elle n'est même pas voilée ! ) et la quête spirituelle de Piracci, avec toutes les questions qu'elle suppose ... tout cela, je le dis poliment, ne m'a pas accrochée. Pour résumer les choses avec simplicité quoique de manière un tantinet triviale : ça m'a même gavée grave.    Et puis, que voulez-vous, j'avais fini par comprendre.

Par comprendre que Piracci s'offre en sacrifice - ben oui, il meurt, à la fin, ne me dites pas que vous ne l'aviez pas deviné ?   - pour le salut de nos péchés, à nous, Européens et Occidentaux.


Remarquez, c'est fait de manière assez subtile et ça reste en filigrane : Gaudé est un écrivain trop intelligent pour tomber dans l'"angélisme" banal. Peut-être aussi n'y croit-il pas plus que vous ou moi, aux bienfaits de l'"angélisme." Peut-être cela le gêne-t-il un peu aux entournures, peut-être a-t-il cherché, avec sincérité mais aussi avec une prudence regrettable, une autre solution, une sorte de "réconciliation" de deux civilisations dans le sacrifice volontaire, complètement halluciné et bien entendu symbolique d'un personnage de fiction. L'ennuyeux, c'est qu'il manque quelque chose - l'audace pour l'auteur d'aller jusqu'au bout des sa pensée intime peut-être ? Plus embêtant encore, malgré les efforts de Gaudé, on sent bien que la balance qu'il s'entête à vouloir impartiale risque de basculer, et toujours du côté habituel dans ce genre de récits. Et puis quelle idée déconcertante, je le répète, de n'imaginer pour un sujet si complexe, qu'une intrigue minimaliste, avec des personnages peu fouillés, voire carrément stéréotypés  ...   

En bref, "Eldorado" constitue une jolie tentative de traiter un sujet extrêmement difficile. Une tentative hélas ! bien timide, rouge de confusion, qui s'auto-censure elle-même avec son "message" limite prêchi-prêcha en toile de fond, une tentative qui biaise et ne convainc personne. En tous cas, ni les réalistes, ni les cyniques. Maintenant, si vous êtes "fleur bleue", "Eldorado", en dépit de ses "méchants" innommables, comblera peut-être vos attentes. Seulement, par pitié, si vous ne devez lire qu'un seul roman de Gaudé, fuyez celui-là !

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