jeudi 18 septembre 2014

Céline (III)

Après le Débarquement, Céline, qui craint avec raison pour sa vie, quitte la France dès le 14 juin et part pour Baden-Baden. Il se retrouve ensuite à Berlin et enfin à Kraenzlin - le Zornhof de "Nord". Là, il doit ronger son frein car il lui est impossible d'entrer au Danemark.

Comme le gouvernement français de Vichy se reforme à Sigmaringen, Céline propose d'aller y exercer la médecine. Il relatera son voyage jusqu'à Sigmaringen dans "Rigodon" et décrira le dernier carré des pétainistes et autres dans "D'Un Château L'Autre." Puis, en 1945, l'écrivain peut enfin rejoindre le Danemark, où il passe près d'un an et demi en captivité. Enfin, il se fixe près la mer Baltique, dans une petite maison au confort rudimentaire, où il reste quatre ans.

Boycotté par le monde littéraire, il est condamné à une année d'emprisonnement pour collaboration, à cinquante-mille francs d'amende, à la confiscation de la moitié de ses biens et à l'indignité nationale. Des relations suédoises interviennent en sa faveur pour retarder son extradition du Danemark.

En avril 1951, M° Tixier-Vignancour, avocat de Céline dès 1948, obtient son amnistie au titre de "grand invalide de guerre" et en présentant son dossier comme celui de "Louis-Ferdinand Destouches." Que les autorités aient fermé les yeux ou pas, personne ne semble établir le lien entre Destouches et Céline.

En juillet, Céline et celle qui sera sa veuve, Lucette, née Almanzor, s'installent chez des amis, à Nice. En octobre, ils sont à Meudon, route des Gardes et, comme il est toujours inscrit à l'Ordre des médecins, le docteur Louis-Ferdinand Destouches appose une plaque professionnelle au grillage qui enclôt sa propriété. De toutes façons, son contrat avec Denoël ayant été rompu de facto par l'assassinat de celui-ci, Céline a signé avec Gallimard, à des conditions très avantageuses, et peut donc vivre en paix sur le plan financier. D'autant que si le public fait grise mine à l'homme, il continue à aimer et encenser l'écrivain : le succès est à nouveau là avec la publication de "D'Un Château L'Autre" qui, avec "Nord" et "Rigodon", forme ce que l'on nomme "La Trilogie Allemande."

Céline décède à Meudon, le 1er juillet 1961, sans doute des suites d'une artériosclérose cérébrale. 

Qu'il existe un style Céline, nul ne le contestera. L'écrivain l'appelait "sa petite musique". Il se caractérise par un mélange étroit entre le langage familier et même argotique et le langage châtié, une mise en valeur de la phrase courte, voire ultra coure et très souvent exclamative, et l'utilisation des points de suspension. Quand Céline se lâche complètement, cela devient imprécatoire et pamphlétaire, avec tous les excès exigés par le genre.

Bien sûr - et c'est tout-à-fait normal - l'évolution est sensible entre le "Voyage ...", le roman le plus "classique" dirons-nous de Céline, et la "Trilogie Allemande." En fait, Céline trouve vraiment son style dès "Mort A Crédit", qui surprendra et déstabilisera d'ailleurs nombre d'admirateurs de son précédent opus. On observe que le présent gagne de plus en plus, au point que l'écrivain finit par raconter tout simplement au présent des évènements qui se sont déroulés bien longtemps auparavant, forçant les lecteurs qui veulent le suivre à un véritable effort de lecture, aussi important que l'est son propre effort d'écriture. (C'est très difficile d'écrire comme Céline : essayez un peu pour voir. )

Voyons maintenant le fond : on est tenté de le dépeindre comme incurablement nihiliste. Céline est un teigneux désespéré qui ne veut pas croire à la Nature humaine. Le problème n'est pas de savoir s'il a tort ou s'il a raison : c'est comme ça et pas autrement. Il a si bien respecté cette règle que cela l'a conduit aux extrémismes que l'on sait. Pour Céline, il n'y a ni héros, ni héroïsme : il n'y a que des salauds - ceux qui en ont conscience et les autres. Les ténèbres humaines attirent Céline, le fascinent, l'hypnotisent au point qu'il va finir par les rejoindre. Sa chance fut d'avoir reçu le don d'une écriture qui, en dépit des horreurs qu'il pouvait dépeindre ou exprimer, était dominée par la lumière - une écriture qui parvint à le récupérer et à le léguer à la postérité tel qu'il fut, selon André Malraux " ... sans doute un pauvre type, ... certainement un grand écrivain."

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