jeudi 18 septembre 2014

Céline (II)


Depuis la parution d'un opuscule intitulé "La Quinine" en 1925, Céline n'a cessé d'écrire. Les articles et billets qu'il envoie à la presse médicale révèlent un personnage à l'opposé du libertaire dont l'image lui collera à la peau. Il y vante en effet les méthodes du fordisme qui consistent à embaucher de préférence "les ouvriers tarés physiquement et mentalement". (Notons tout de même que, revenant à une vision plus littéraire, Céline évoque aussi ces malheureux sous la formule "les déchus de l'existence.") L'écrivain souligne que l'absence de sens critique de cette masse crée "une main-d'oeuvre stable et qui se résigne mieux qu'une autre." Il déplore qu'il n'existe rien encore de semblable en Europe "sous des prétextes plus ou moins traditionnels ..."

Autre idée qui étonne de la part de Céline : celle de créer des sortes de médecins-policiers d'entreprise, chargés pour l'essentiel de convaincre les ouvriers "que la plupart des malades peuvent travailler" et que "l'assuré doit travailler le plus possible avec le moins d'interruptions possibles pour cause de maladie."

En relisant ces textes, on reste cependant perplexe car on peut aussi bien y déceler une ironie féroce qui, elle, est par contre bien dans la ligne du personnage comme de l'écrivain. En outre, si on lit le "Voyage ...", on constate que Céline dénonce sans ambages l'inhumanité du capitalisme sous toutes ses formes.

"Voyage au Bout de la Nuit"
sort en 1932 et manque de peu le Goncourt - on rappellera que Lucien Descaves, furieux, démissionnera cette année-là du célèbre jury. Mais il remporte le Renaudot : son éditeur peut se réjouir.

Ironie du sort : si les milieux traditionnels bourgeois le considèrent avec suspicion, les milieux de gauche s'enthousiasment à l'époque pour Céline en qui ils voient un porte-parole des milieux populaires et un militant pacifiste et anti-colonialiste de la plus belle eau.

C'est à la fin des années trente que la fièvre anti-sémite s'abat sur Céline. A l'époque, il correspond avec Arthur Pfannstiel, critique d'art et traducteur travaillant pour le "Welt-Dienst" (= Service Mondial de Propagande Nationale-Socialiste Anti-Maçonnique & Anti-Sémite). En 1937 sort donc "Bagatelles pour un Massacre" et, l'année suivante "L'Ecole des Cadavres." Lucide, l'écrivain dira dans une lettre qu'il vient de publier "un livre abominablement antisémite."
Survient la guerre. Les Allemands occupent la France. Céline ne résiste pas et envoie lettre sur lettre aux journaux collaborationnistes. Certaines y sont publiées. Il y fait preuve d'un anti-sémitisme incontestable et toujours dans un style très personnel. Dans l'une d'entre elles, il écrit : "Pleurer, c'est le triomphe des Juifs ! Réussit admirablement ! Le monde à nous par les larmes ! Vingt millions de martyrs bien entraînés, c'est une force ! ..."

Assez curieusement, les ouvrages anti-sémites de Céline provoquent déjà la controverse, mais chez les nazis. Sans doute certains pensent-ils, comme Bernard Payr, basé au Service de Propagande en France, que l'écrivain "gâche son anti-sémitisme par des obscénités et des cris hystériques."

Dans la plus pure tradition bardamuesque - Bardamu n'hésite pas à affirmer qu'il est un salaud - Céline clame partout qu'il n'a pas attendu les Allemands pour devenir collaborationniste. Il porte Doriot aux nues et, dans son troisième pamphlet de triste mémoire, "Les Beaux Draps", sorti en 1941, il affiche sans vergogne sa sympathie pour l'occupant nazi.

Oui, le voilà dans de beaux draps. Assurément. Car le vent tourne. 

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