mercredi 24 septembre 2014

Edward Lear (II)

A compter de ses seize ans, Lear dessine pour gagner sa vie. La Société Zoologique le prend comme "dessinateur ornithologique", puis, de 1832 à 1836, il travaille pour le comte de Derby, qui possède un zoo privé. A l'âge de dix-neuf ans, il publie "Illustrations of the Family of Psittacidae / Illustrations de la Famille des Psittacides", un volume bien accueilli qui autorise certains critiques à évoquer à son sujet l'ornithologue et peintre franco-américain John Audubon.

A partir de 1837, Lear voyage en Italie. A son retour, il publie deux volumes d'illustrations : "Illustrated Excursions in Italy", les premiers d'une longue série. Il donne - brièvement - des cours de dessin à la reine Victoria, laquelle avait été enchantée par ses "Excursions". Après cet intermède princier, Lear retourne en Méditerranée car il veut dessiner toute la côte - ou presque.

En 1848/49, il est en Grèce. Bien que déjà malade du coeur, il entreprend un grand tour des Indes et de Ceylan entre 1873 et 1875. Il produit toute une foule de lavis au style tout à fait reconnaissable, qu'il expose dans son atelier entre ses huiles et ses aquarelles. Il marque une prédisposition pour les paysages fortement exposés au soleil, magnifiés par d'intenses contrastes de couleurs.

Lear n'a jamais cessé de peindre. Son grand rêve était d'illustrer les poèmes de Tennyson. A la fin de sa vie, un volume comprenant un petit nombre d'illustrations à cet effet a été publié. Mais le projet n'est jamais allé très loin.

En 1846, Lear publie "A Book of Nonsense", un recueil de limericks. (En principe, le limerick est un poème humoristique de cinq vers rimés, en général irrévérencieux ou irréligieux, voire grivois.) Le livre connaît trois éditions et va populariser la forme du limerick, que Lear n'appelle pas d'ailleurs ainsi mais "nonsense verses."

En 1865, il remet le couvert avec "The History of the Seven Families of the Lake Pipple-Popple" avant de publier, en 1867, son texte le plus fameux en matière de nonsense : "The Owl and the Pussycat", composé pour les enfants du comte de Derby.

Tous ces recueils - car il y en eut bien d'autres - connurent un très grand succès du vivant même de leur auteur. Cependant, la rumeur courait que "Edward Lear" n'était qu'un pseudonyme et que le véritable auteur des vers n'était autre que leur dédicataire, le comte de Derby. Les défenseurs de cette thèse en voulaient pour preuve le fait que les deux hommes s'appelaient Edward et que "Lear" est l'anagramme de "earl" - comte en anglais. Inutile de préciser que rien d'autre ne soutient cette thèse pour le moins farfelue.

Les limericks de Lear se distinguent par une grande facilité en matière d'invention verbale et un instinct poétique imparable dans la sonorité des mots. Il est évident que le lecteur perd beaucoup à la traduction de ces vers qu'il faut lire - et dire - dans le texte comme, par exemple, celui-ci :
Citation :

[...] ... They dined on mince, and slices of quince
Which they ate with a runcible spoon ;
And hand in hand, on the edge of the sand,
They danced by the light of the moon,
The moon,
The moon,
They danced by the light of the moon. ... [...]

Les moins anglophones eux-mêmes apprécieront. Wink

Bien que célèbre pour les néologismes qu'il créait, Lear n'hésitait pas à employer d'autres procédés afin de dérouter plus ou moins son lecteur. Par exemple, "Cold Are The Crabs" est dans la droite ligne du sonnet classique, tout au moins jusqu'au dernier vers et sa chute finale.

En principe, le limerick comporte quatre vers groupés, suivi du cinquième qui se détache nettement de l'ensemble. Mais les pièces de Lear sont de formes très diverses. Dans ses manuscrits, il semble qu'il écrivait en fonction de l'espace dont il bénéficiait sous l'illustration. Ainsi, sur la couverture de l'une des éditions d'un recueil, le limerick tient en fait en deux vers. Il s'agit de :

Citation :

[...] ... There was an Old Derry down Derry, who loved to see little folks merry;
So he made them a book, and with laughter they shook at the fun of that Derry down Derry. ... [...]


D'autre part, chez Lear, le premier et le dernier vers se terminent par le même mot. Dans la plupart des cas, ce sont de vrais "nonsenses" et ne relèvent pas de cet humour patraque, plus ou moins bancal, auquel cette forme de vers est maintenant associée.

Le lecteur sera sans doute heureux d'apprendre que les textes d'Edward Lear ont été traduits en français. "Nonsense", "Perroquet", "Poèmes sans queue ni tête", "Sire Hibou et Dame Chat" et quelques autres, tous sont disponibles, sur le Net et chez tout libraire qui se respecte. Qu'on se le dise et bonne lecture !

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