jeudi 18 septembre 2014

Un Prêtre Marié - Jules Barbey d'Aurevilly

Préface, Chronologie, Notes & Variantes, Bibliographie : Jacques Petit

ISBN : Non Indiqué

Extraits
Personnages



Dès les premières pages, on se dit : "C'est du mélo classique et architypé ..." et celui qui ne connaît pas Barbey risque de refermer le tout sans autre forme de procès. Ce serait une erreur car, nous l'avons déjà mentionné ici et là, l'écrivain normand possède, tout comme Balzac mais en plus lyrique, l'art de se saisir d'une situation fondamentalement, intimement mélodramatique pour en faire, malgré les clichés imposés par l'usage, un vrai - et un bon - roman (ou en quelque chose qui y ressemble bougrement). study 

Question clichés, on peut dire qu'"Un Prêtre Marié" démarre sur des chapeaux de roues : un prêtre, Sombreval, qui, au coeur de la Révolution française, perd une foi à vrai dire pas très vive et qui se marie ; l'enfant (une fille, pauvre petite créature  Sniffsniff ) qui naît très légitimement aux yeux des hommes mais sur laquelle pèse la malédiction divine - la preuve : elle perd sa mère  Sniffsniff  Sniffsniff  ; le prêtre défroqué qui, sa fille adulte et pour on ne sait trop quelle raison hormis, peut-être, le désir d'en imposer à ceux qui l'ont connu jadis, vient s'isoler dans un antique château, sur les lieux mêmes de sa jeunesse et le fils (très fier) d'un châtelain (un peu moins fier parce que plus âgé) qui, badaboum !    au premier regard, tombe amoureux éperdu de "la fille du prêtre" puisque tel est le surnom que les villageois donneront très vite à la malheureuse Calixte.

Et ça, ce n'est que pour le début. Barbey continue : il roule, il déroule, il empile, il entasse, il accumule !   Pour un peu, on croirait qu'il le fait exprès.

Bien que sachant impossible sa passion pour Calixte, le jeune aristocrate - Néel de Néhou, encore un nom qui fleure bon son mélo  Smile  - ne cesse de leur rendre visite, à elle et à son père. Au passage et comme de bien entendu, il délaisse la jeune fille (de très bonne famille) que lui destinaient et son père, et les convenances, à savoir Melle Bernardine de Lieusaint - ça aussi, c'est un beau nom, ça ...  drunken Ce en quoi il a bien tort car, de toutes façons, comme il l'apprend par la suite, Calixte, pour expier les fautes de son père s'est faite carmélite sans rien lui en dire et, partant, toute vie "dans le siècle" lui est interdite. Il ne faudrait pas oublier les fréquentes crises de somnambulisme qui, depuis sa plus tendre enfance, accablent la malheureuse jeune fille et contre lesquelles son père, passionné de chimie et de logique, a essayé, mais en vain, tous les remèdes possibles et imaginables. Elles font beaucoup, soulignons-le, pour l'ambiance du récit. (Plus tard, Barbey ira jusqu'au bout du sujet avec son "Histoire Sans Nom.")

Mais attention ! Si Sombreval ne croit qu'en la Déesse Raison, Barbey, lui, n'oublie pas qu'il y a plaisir à manier le mystère et à suggérer l'incompréhensible et l'inexplicable. Outre ses descriptions, sublimes et hantées, de la campagne normande, il fournit au lecteur le personnage de la Malgaigne, mi-fileuse, mi-devineresse, qui a connu Sombreval au temps où il avait pris les ordres et qui, elle le proclame elle-même maintes fois avec une tranquille résignation, sait que "le prêtre marié" ne peut échapper à son destin. Grande et sèche, bienveillante et même miséricordieuse quoique sans illusions sur ce qui est écrit, la Malgaigne, qui court la campagne avec son bâton, à la recherche des plantes nécessaires à la confection de certains "charmes", fait irrésistiblement penser à une incarnation de la Fatalité - les Anciens n'appelaient-ils pas le Destin "Fatum" ? Une incarnation magistrale, il faut bien le reconnaître, une sorte de Clotte à la puissance mille - ceux qui ont lu "L'Ensorcelée" comprendront tout de suite.  Wink 

C'est ainsi, par de petites touches qui font insensiblement monter la tension ou, au contraire, par l'apparition d'un seul bloc d'un personnage aussi réussi, aussi "vrai" que la Malgaigne - laquelle aurait pu rester ce qu'elle était au départ : la sorcière plus ou moins repentie qui rôde dans l'ombre du roman pseudo-gothique et romantique afin d'y ménager des zones d'ombre bienvenues - que Barbey prend son mélo initial à bras-le-corps pour le transformer, sans difficultés majeures apparentes, en ...

... en quoi, exactement ?     

C'est là que l'on s'arrête et que l'on s'interroge. Chez Barbey, outre le mélo et le lyrisme, vous devez le plus souvent compter avec une base historique (le prototype de Sombreval a bel et bien existé mais eut, semble-t-il, une vie post-révolutionnaire beaucoup moins tourmentée), un réalisme détaillé (qui atteint à son sommet dans "Le Chevalier des Touches") et puis, et surtout, avec ce quelque chose d'absolument indéfinissable, qui n'appartient qu'à son génie mélancolique et sombre, écartelé à jamais entre la flamboyance, pleine de panache, de la Damnation et la gloire, radieuse mais fadement sereine, de la Sainteté. Le faible prononcé de l'écrivain pour la première - qu'il en ait eu conscience ou non - est justement ce qui, à quelques notables exceptions près - "L'Amour Impossible" et "Ce Qui Ne Meurt Pas" - contribue à métamorphoser son oeuvre en quelque chose d'unique, sur quoi on a le plus grand mal à apposer une étiquette. Du mélo pur, Barbey rabote avec détermination les arêtes exaspérées. Les conventions gnangnan propres au genre, il les tord dans tous les sens jusqu'à ne garder d'elles que leur inexorabilité. Les types outrés, trop beaux ou trop méchants pour être vrais, femmes ou hommes, qui s'y promènent, il les retourne comme il le ferait de vieux manteaux et les retaille, les recoupe, les façonne sur un patron nouveau, fait d'orgueil luciférien pour certains, de mysticisme éclatant pour d'autres et, dans quelques cas, disons pour les personnages ayant la charge de permettre au Destin de s'exprimer, d'énigme pure, de ténèbres aussi épaisses qu'indéfinissables où se mêlent, en une étreinte inextricable, le Bien et le Mal.

En un mot comme en cent, l'univers de Barbey d'Aurevilly est glauque, glauque, glauque. Il peut passer en un seul instant du chatoiement le plus moiré à l'obscurité la plus freudienne. Le définir à la fois comme terriblement vieillot, à l'image d'une France et d'une société depuis longtemps disparues, et tout aussi résolument moderne, d'une modernité agressive et sanglante, qui en redemande dans le fantasme et l'interdit, paraît chose impossible et même des plus stupides : c'est pourtant ce qu'il est. Et c'est peut-être ce qui explique pourquoi la critique de son temps l'a si mal compris et si peu considéré. Barbey dérangeait à plus d'un titre mais sa plus grande réussite, c'est de continuer, en plein XXIème siècle, à déranger le lecteur, à titiller ses plus mauvais instincts et sa soif de mystère, à le contraindre à se poser et à se reposer tant de questions et par dessus tout celles-ci : "Qu'est-ce que le Bien ? Qu'est-ce que le Mal ? Et pourquoi ?"

"Un Prêtre Marié" ne vous apportera pas la réponse, bien sûr. Mais si vous voulez tenter sa lecture, ne vous gênez surtout pas.




Nota Bene : n'oubliez pas de consulter aussi, sur le même ouvrage, la fiche que lui a consacrée Eustrabirbéonne, à la page 2 de ce post.

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