jeudi 18 septembre 2014

Le Chevalier Des Touches - Jules Barbey d'Aurevilly

Préface, Chronologie, Notes & Variantes, Bibliographie : Jacques Petit

ISBN : Non Indiqué

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Personnages



L'incipit du roman où Barbey démontre, une nouvelle fois, comment il savait imposer une atmosphère :
Citation :
[...] ... C'était vers les dernières années de la Restauration. La demie de huit heures, comme on dit dans l'Ouest, venait de sonner au clocher, pointu comme une aiguille et vitré comme une lanterne, de l'aristocratique petite ville de Valognes.

Le bruit de deux sabots traînants, que la terreur ou le mauvais temps semblaient hâter dans leur marche mal assurée, troublait seul le silence de la place des Capucins, déserte et morne alors comme la lande du Gibet elle-même. Tous ceux qui connaissent le pays n'ignorent pas que la lande du Gibet, ainsi appelée parce qu'on y pendait autrefois, est un terrain qui fut longtemps abandonné, à droite de la route qui va de Valognes à Saint-Sauveur-le-Vicomte, et qu'une superstition traditionnelle la faisait éviter au voyageur ... Quoique en aucun pays, du reste, huit heures et demie ne soient une heure indue et tardive, la pluie, qui était tombée ce jour-là, sans interruption, la nuit - on était en décembre, - et aussi les moeurs de cette petite ville, aisée, indolente et bien close, expliquaient la solitude de la place des Capucins et pouvaient justifier l'étonnement du bourgeois rentré, qui peut-être, accoté sous ses contrevents strictement fermés, entendait de loin ces deux sabots, grinçants et haletants sur le pavé humide, et au son desquels un autre bruit vint impétueusement se mêler.
Sans doute, en tournant la place, sablée à son centre et pavée sur ses quatre faces, et en longeant la porte cochère vert-bouteille de l'hôtel de M. de Mesnilhouseau, qu'on avait, à cause de sa meute, surnommé Mesnilhouseau des chiens, les sabots qu'on entendait réveillèrent cette compagnie des gardes endormie ; car de longs hurlements éclatèrent par dessus les murs de la cour et se prolongèrent avec la mélancolie désolée qui caractérise le hurlement des chiens dans la nuit. Ce long pleur monotone et désespéré des chiens qui essayèrent de fourrer leur nez et leurs pattes sous la colossale porte cochère, comme s'ils avaient senti sur la place quelque chose d'insolite et de formidable, cette noire soirée, ce vent dans la pluie, cette place solitaire, qui n'était pas grande, il est vrai, mais qui, de riante qu'elle était autrefois, quand elle ressemblait à un square anglais, avec ses arbres plantés en carré et ses blanches balises, était devenue presque terrible depuis qu'en 182 ... on avait dressé au milieu une croix sur laquelle, coloriée grossièrement,
se tordait, en saignant, un Christ de grandeur naturelle ; tous ces accidents, tous ces détails, pouvaient réellement impressionner le passant aux sabots qui marchait sous son parapluie incliné contre le vent, et dont l'eau qui tombait frappait la soie tendue de ses gouttes sonores, comme si elles eussent été des gouttes de cristal. ... [...]
 
Citation :
[...] ... - C'était donc vers la fin de l'année 1799, reprit [Melle de Percy]. - Il y avait plusieurs mois que M. Jacques était avec nous, à peu près guéri, mais affaibli et souffrant encore de ses blessures. Pendant cette longue convalescence de M. Jacques à Touffedelys, -où il vivait caché, comme on vivait, dans ce temps-là, quand on ne se trouvait pas, le fusil à la main, au grand air sous le clair de lune, - Des Touches, lui, le charmeur de vagues, était repassé peut-être vingt fois de Normandie en Angleterre et d'Angleterre en Normandie. Nous ne le voyions pas à chacun de ses passages. Souvent il débarquait sur des points extrêmement distants les uns des autres, pour dépister les espions armés et acharnés qui, tapis sous chaque dune, aplatis dans le creux des falaises, couchés à plat ventre au fond des anses, le long de ces côtes dentelées de criques, cernaient la mer de toutes parts et faisaient coucher à fleur de sol des baïonnettes et des canons de fusil qui ne demandaient qu'à se lever ! Plus il allait, ce chevalier Des Touches, traqué sur mer par des bricks, traqué sur terre par des soldats et des gendarmes ; plus il allait, cet homme qui caressait le danger comme une femme caresse sa chimère, ce rude joueur qui jouait son va-tout à chaque partie, et qui gagnait, plus il était obligé cependant, malgré son impassible audace, d'user de précautions et d'adresse ; car le bonheur inouï de ses passages avait exaspéré l'observation de ses ennemis pour lesquels il était devenu l'homme de son nom : la Guêpe ! La guêpe, insaisissable et affolante, l'ennemi invisible, le plus provocant et le plus moqueur des ennemis ! Il ne faisait plus l'effet d'un homme en chair et en os, mais, comme je l'ai souvent ouï dire aux gens de mer de ces rivages, "d'une vapeur, d'un farfadet !" Il y avait entre les Bleus et lui, - et les Bleus, ne l'oubliez pas ! c'était tout le pays organisé contre nous, groupes de partisans éparpillés à sa surface, qui ne nous rattachions les uns aux autres que par des fils faciles à couper ; - il y avait, entre les Bleus et lui un sentiment d'amour-propre excité et blessé, plus redoutable encore à ce qu'il semblait que l'implacable haine de Bleu à Chouan ! ... La guerre entre eux était plus que de la guerre, c'était de la chasse ! ... [...]
 

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