mercredi 24 septembre 2014

Samuel Richardson

Celui que nombre de critiques - y compris actuels - évoquent comme l'un des pères du roman moderne naquit à Mackworth, dans le Derbyshire, le 19 août 1689. Le milieu où il vit le jour était très simple puisque son père, Samuel Richardson Sr, était menuisier et que sa mère - qui ne travaillait pas - était tenue pour l'époque comme venant d'un "milieu sans éducation."

Selon la vaste correspondance de son fils, ce sont les convictions politiques qui auraient contraint Samuel Sr à émigrer de Londres dans le Derbyshire. En effet, le menuisier avait travaillé pour le duc de Monmouth.

Après la mort de Charles II, qui l'avait d'ailleurs officiellement reconnu comme son fils, James Scott, duc de Monmouth, qui était de religion protestante, fut pressenti pour monter sur le trône en lieu et place de l'héritier légitime, Jacques II d'Angleterre. Mais le coup d'Etat - que soutenait une partie du Parlement - échoua et Monmouth fut condamné à avoir le chef tranché. L'exécution du malheureux est restée d'autant plus célèbre que le bourreau dut s'y reprendre à quatre ou cinq fois avant de parvenir à ses fins.

Certains biographes assez récents de Richardson affirment cependant que la chose est impossible puisque le père de l'écrivain quitta Londres deux ans après la mort du premier duc de Monmouth.

Les Richardson devaient cependant revenir à la capitale anglaise en 1699.

Malheureusement, on connaît assez mal l'enfance du futur écrivain.
On sait par exemple que, alors qu'il avait onze ou douze ans, il écrivit à une connaissance de ses parents, en lui reprochant son prosélytisme en faveur de la religion. La dame, bien sûr, se plaignit à Mrs Richardson de l'insolence de son fils et il semble n'avoir jamais réitéré ce genre d'expérience même si son oeuvre est bourrée à craquer de lettres destinées à "réformer" l'esprit de celui ou de celle qui les reçoit.

C'est probablement dans la compagnie des visiteuses de sa mère, qu'il eut souvent l'occasion d'observer, que le futur romancier puisa très jeune l'étonnante faculté qu'il possédait de pouvoir se placer, dans ses livres, à la place non pas du héros mais bel et bien de l'héroïne.

En principe, Richardson aurait dû se faire clergyman. Mais l'argent manquait et, à dix-sept ans, il devint apprenti-imprimeur. Pour ce jeune homme qui nourrissait une authentique passion pour les livres et la chose écrite, ce fut une aubaine - il le dira lui-même. Un peu moins d'une dizaine d'années plus tard, il s'établit à son compte et l'un des premiers auteurs qu'il publia fut Daniel Defoe.


Le premier mariage de Richardson, s'il fut heureux, se termina par la mort de son épouse, née Martha Wilde, en 1731. Sur les six enfants qu'ils avaient eus, le sixième survécut encore deux ans à la malheureuse et puis, ce fut terminé. Après ce deuil, Richardson se remaria avec Elizabeth Leake qui lui donna elle aussi six enfants - cinq filles et un garçon.

 La première oeuvre de Richardson date de l'année de son remariage, 1733. Il s'agit de "The Apprentice's Vade Mecum." Le livre se veut moralisateur puisqu'il prétend sauver de certains dangers les hommes jeunes et célibataires.

Et puis, sept ans plus tard, le romancier publie "Pamela ou la Vertu récompensée", roman épistolaire dont s'inspirera notamment Chorderlos de Laclos, et qui sera traduit en France par l'abbé Prévost. L'intrigue est simple et a quelque chose de mi-sadien, mi-brontesque avant la lettre : Pamela Andrews est servante dans la maison d'une riche vieille dame. Le fils de cette dame, Mr B., tombe amoureux d'elle et cherche à tous prix à en faire sa maîtresse. Mais elle s'y refuse et, de fil en aiguille, le séducteur en vient à envisager le mariage.

Le succès de ce roman épistolaire - le premier du genre, signalons-le tout de même - est énorme. Et les critiques négatives au niveau de ce succès sans précédent. D'autant que, qu'on le veuille ou non et un peu comme "Jane Eyre" au siècle suivant, l'héroïne peut aussi bien interpréter le rôle de la jeune fille vertueuse que celui de l'arriviste bien décidée à jouer de son charme et du désir masculin pour monter sur l'échelle sociale.

Signe qui ne trompe pas : la parodie s'en mêle. Henry Fielding écrit "Shamela" (Julie nous en avait déjà parlé) et, en partenariat avec Joseph Andrews, une "Vie du Frère de Pamela", lequel frère cherche, lui aussi, à préserver sa vertu. (!!)

En 1748, paraît le chef-d'oeuvre de Richardson : "Clarissa ou l'Histoire d'une Jeune Lady." Sur une trame là encore épistolaire, le romancier nous conte une histoire beaucoup plus triste, celle d'une jeune fille rejetée par sa famille pour de sordides questions d'intérêt et qui tombe entre les mains d'un séducteur dont le nom passera dans la langue courante : Lovelace.

En 1753, Richardson donne enfin à son public l'équivalent masculin de Pamela et Clarissa : sir Charles Grandison. Mais critiques et public font grise mine et trouvent l'histoire bien moins passionnante. Pourtant, au début du XIXème siècle, Jane Austen n'hésitera pas à affirmer que l'"Histoire de sir Charles Grandison" est l'un de ses livres favoris.

Au reste, l'influence de Samuel Richardson (qui mourut en 1761) sur Jane Austen comme, dans un registre différent, sur Goethe et Rousseau, n'est plus à démontrer de nos jours. Que l'on aime ou pas le roman épistolaire et la description de fantasmes érotiques recouverts par le blanc manteau de la Vertu - récompensée ou non - on ne peut nier à Samuel Richardson d'avoir redonné une seconde jeunesse à l'art du roman, en Angleterre, puis en Europe.

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