Notre Opinion
Personnages
Au début du roman, Adélaïde explique ainsi sa plongée dans le passé :
Personnages
Au début du roman, Adélaïde explique ainsi sa plongée dans le passé :
- Citation :
- [...] ... J'ai attendu sept années. Il y aura en juillet prochain quatre étés qu'Elisabeth est morte, et voici que mon père vient de la rejoindre dans la tombe. Que me reste-t-il encore à attendre, et qu'espérer encore ? Seule je demeure, avec mes regrets, avec mes remords. Il est écrit que celui qui juge sera jugé. C'est maintenant mon procès qui s'ouvre. Le procès de la vierge noire, de l'illuminée qui pour mériter l'estime des siens a renoncé au bonheur terrestre. Le siège de Dieu, au tribunal de ma mémoire, est vide mais c'est Lui, à la fin, qui tranchera. Vous, mes défunts, qui vous pressez pour témoigner, je vous vois comme sous un clair de lune. Vous portez ma vie et la vôtre enlacée sur vos lèvres. Depuis les commencements, jusqu'au jour d'aujourd'hui. Vous ouvrez la bouche. Vous allez tout dire. Et moi, par vous, je vais devoir tout revivre. ... [...]
- Seule face à elle-même, Adélaïde s'interroge :
- Citation :
- [...]
... Aurais-je repoussé l'homme dont les sentiments se seraient fait
entendre avec les accents que mon père trouvait pour Elisabeth ? Comment
l'assurer ? Que sais-je du désir, que sais-je du plaisir, moi qui cache
mes appas sous des voiles sévères ? Quelle amante, quelle épouse
aurais-je été, si je n'avais étouffé la voix de ma nature ? (...)
Ainsi aimer était-il soit pécher, soit souffrir. Au vrai, je ne péchais pas et je ne souffrais réellement que de voir Elisabeth mener train de reine avec gardes et tambours, une reine d'Orient vautrée sur sa litière, frottée d'or, de parfum, de semence, une déesse amorale et somptueuse devant laquelle même le prince pliait le genou. Je ne possédais ni sa lascivité, ni son ascendant sur autrui, ni son extraordinaire appétit à vivre. Je ne me sentais pas plus le goût que le talent de marcher sur ses brisées, et l'eussé-je désiré que ma fierté m'en eût détournée. Car j'avais de l'orgueil, cet orgueil raide, ombrageux, tyrannique, qui est l'arme des timides et des délaissés. La naissance m'avait faite seconde. Mon père exhibait sa passion pour mon aînée d'une manière qui me faisait souhaiter de n'être jamais née. Yeux bandés, chemise ouverte, le royaume tout entier s'attablait pour leurs noces et moi, au lieu de festoyer, j'avais envie de pleurer. Quelle place devais-je accepter dans cette bacchanale ? Qu'allais-je faire de ma vie ? Se pouvait-il que je n'eusse d'autre horizon qu'un mariage convenu, avec sa couronne de dégoûts, de lâchetés et de trahisons ? Se pouvait-il que mon père et ma soeur fussent dans le vrai, et l'exemple qu'ils offraient la règle de ce temps ? (...)
C'est alors que, penchée au bord du gouffre, titubant d'une nausée où désir et dégoût se disputaient le pas, j'entrevis une issue dont je crus que jamais je n'aurais à rougir. Un sort digne des nobles martyrs, un de ces destins qui survivent à la mort en imprimant dans les mémoires une admiration subjuguée. C'était là, devant moi, aussi vivant que sont vivants mes souvenirs aujourd'hui. Je tenais le moyen d'éclipser Elisabeth sans souiller mon âme ni mon corps dans une rivalité triviale. Elle était l'Ange noir du duc d'Orléans. Moi, Adélaïde, je deviendrais son Ange blanc. Par ma soeur, il se perdait. Par moi, il se sauverait. Devant lui, j'ouvrirais toutes grandes les portes du royaume des cieux. En m'offrant sur l'autel que souillaient ses impiétés et ses débauches, je gagnerais son paradis. Personne, jamais, ne lui témoignerait si éloquent amour. ... [...]
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