Bien que l'intrigue soit assez dense, le
texte est du genre bref - même pas 200 pages. A l'origine, il devait
être inclus dans les "Mémoires et Aventures d'un Homme de Qualité ..."
dont nous parlions plus haut. C'est en effet le héros de ces "Mémoires
..." qui, intrigué par ce cortège de captives surveillées par les
archers du Roi et auprès desquelles chevauche un jeune homme accablé
mais de mine aristocratique, profite de la halte de tout cet équipage
dans la cour de l'auberge où lui-même se trouve de passage pour
s'enquérir des raisons qui poussent le jeune cavalier à suivre les
charrettes des déportées.
Deux ans plus tard, l'homme de Qualité retrouve le jeune homme et celui-ci lui raconte cette fois toute son histoire.
Tombé
amoureux d'une jeune fille que sa famille voulait enfermer au couvent
parce qu'elle manifestait trop de goût pour "le plaisir", Des Grieux
l'enlève et, pendant quelques temps - celui de dépenser tout l'argent
dont ils disposent - ils mènent joyeuse vie à Paris. Lorsque l'argent
commence à se faire rare, Des Grieux se propose d'écrire à son père et
de lui demander de l'aide. Mais sa compagne, Manon, accueille assez
froidement cette idée et l'assure de la laisser faire. Résultat :
peu de temps après, alors que Manon se met en ménage avec M. de B*, un
riche fermier général, Des Grieux est enlevé et ramené par son frère
aîné chez leur père.
Dégoûté - du moins le croit-il -
Des Grieux se consacre à la soutenance de sa thèse en théologie. Hélas !
Manon, superbement parée puisque B* l'entretient sur un grand pied,
assiste à cette soutenance et se fait reconnaître. Voilà Des Grieux aux pieds de sa maîtresse. Et, une fois de plus, tous deux décident de s'enfuir.
Avec
les 60 000 francs que Manon avait réussi à mettre de côté sur la
pension servie par B*, ils s'achètent une maison à Chaillot où ils
vivent tout d'abord paisiblement. Mais Manon s'ennuie et ils
prennent un pied-à-terre sur Paris, dans le quartier même où vit le
frère de Manon, un aventurier sans scrupules qui s'incruste chez eux. La
maison de Chaillot ayant brûlé et les pillards étant passés par là, Des
Grieux se confie cependant à Lescaut pour trouver un moyen de regagner
de l'argent. Il sait bien que, sans cela, il perdra à nouveau Manon. C'est ainsi qu'il se fait "chevalier d'industrie" - en d'autres termes, tricheur professionnel.
L'argent rentre mais fait bien des envieux et les domestiques du jeune couple s'enfuient avec leur linge et leur fortune. Tandis
que Des Grieux ne sait plus à quel saint se vouer, Lescaut conseille à
sa soeur de faire les yeux doux à un vieux viveur, M. de G ... M...
Puis, de conseil en conseil, il convainc Des Grieux d'entrer dans le
stratagème et de se faire passer pour leur frère, à lui et à Manon.
Et tout tourne mal. A
vrai dire, Manon et Des Grieux ne cessent de tomber de Charybde en
Sylla mais le lecteur impartial ne peut manquer de se dire bien souvent
qu'ils y mettent beaucoup du leur par leur légèreté et leur égocentrisme.
Ce
roman est étrange parce que, sous couvert de critique sociale (contre
les moeurs de la noblesse et aussi de la bourgeoisie et, bien sûr, de
manière plus voilée, contre le pouvoir en place) et en dépit de sa fin
convenue (Manon meurt aux colonies et Des Grieux s'en sort puisqu'il est
fils de bonne famille), il fait l'apologie du cynisme et, ce qui est
pire, de la déresponsabilisation absolue. Des Grieux rejette
toujours la responsabilité de telle ou telle faute pourtant grave (comme
l'assassinat de l'un des guichetiers de Saint-Lazare) sur un tiers.
C'est extrêmement désagréable et c'est sans doute ce qui me l'a rendu si
antiphathique.
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