samedi 13 septembre 2014

Le Vampire de Ropraz - Jacques Chessex (Suisse / Expressiosn francophone)

J'aimerais pouvoir écrire que ce texte, qui ne compte pas même quatre-vingt-dix pages en édition du Livre de Poche, m'a convaincue du talent de son auteur. Mais il n'en est rien.

Dérangeant, l'ouvrage l'est, qui raconte un fait divers particulièrement horrible, à la fois nécrophile et nécrophage, qui se déroula réellement dans le village de Ropraz en 1903. Le crime lui-même, ou plutôt ce qu'en découvrent les enquêteurs en ce matin enneigé de février, est décrit de façon brutale et par le menu : aucun détail n'est épargné au lecteur.

Celui-ci pourrait s'en accommoder - après tout, personne ne le forçait à lire le livre de Chessex - si le reste de l'enquête faisait montre d'un pareil souci du détail vrai. Et c'est là que le bât blesse : si l'on excepte les crimes - il y en a deux ou trois, nous sommes en présence d'un tueur en série avant que cette appellation ait été inventée - et l'apparence physique du suspect, singulièrement hideuse, tout se perd non pas dans des approximations mais dans une banalité générale.

Le doute continue d'ailleurs à planer - pour moi en tous cas - sur l'identité du malade mental que l'on surnomma "le Vampire de Ropraz." Le suspect, un garçon de ferme dénommé Charles-Augustin Favez, possède certainement une sexualité des plus déviantes. Mais il y a une différence entre un zoophile et un nécrophile-nécrophage. Peut-être un zoophile peut-il basculer dans la nécrophilie, voire dans la nécrophagie mais dans ce cas-là, il faut laisser la parole aux experts. Et puis, dans le cas de Favez, aucune preuve n'est apportée. Mais il fallait un coupable : Favez était là, c'est tout.

Mais le comble, c'est la fin de ce récit qui nous laisse entendre que le fameux Soldat Inconnu qui repose sous l'Arc de Triomphe ne serait autre que le cadavre de Charles-Augustin, lequel, après s'être évadé en 1915, s'engagea dans la Légion étrangère et fut tué par les tirs allemands le 28 septembre de la même année. Favez aurait fait partie du même régiment que Frédéric Sausser, futur Blaise Cendras, qui se serait en partie inspiré de son histoire pour son "Moravagine."

L'effet obtenu est des plus bizarres. On s'interroge : l'auteur est-il antimilitariste ? ne recherche-t-il que l'humour noir ? veut-il prouver quelque chose ? et, si oui, quoi donc ?

Alors non, je le répète, je ne suis pas convaincue. Pour une affaire comme celle-ci, il faut plus que quelques pages essentiellement centrées sur ses aspects les plus barbares. Il ne suffit pas de vouloir déranger le bon peuple, il faut encore le faire avec art et pour moi, dans ce livre, il n'y en a guère sauf peut-être, de temps à autre, dans quelques descriptions sans merci de la Nature et des rancoeurs paysannes.

Nous sommes loin, bien loin, de l'extraordinaire "Nécrophile" de Gabrielle Wittkop. Il est vrai que son "héros" ne sombrait jamais dans la nécrophagie et avait tout de l'esthète. Et pourtant, voyez-vous, le nécrophile de la romancière française dérange beaucoup plus que le monstre sans foi, ni loi suggéré par Chessex.

2 commentaires:

  1. Bonjour Madame,

    Merci de votre lecture et de votre critique de cet ouvrage de Jacques Chessex. Je crois qu'il ne faut pas chercher le didactique, le précis d'histoire et le détail anecdotique, avec Chessex. Il écrivait comme on peint un tableau. Il avait assez vite compris que le sens est toujours subjectif. C'est l'écriture, qui l'intéressait, les mots qui transcendent justement le banal dont, à mon étonnement, vous taxez ce livre, qui me paraît tout sauf banal. En réalité, Chessex était un métaphysicien et, par cette fin (peut-être) imaginée du misérable Favez, il suggère ce qui a pu ou qui aurait pu être, et toute l'inanité, la vanité des choses du monde auxquelles la société accorde tellement d'importance. Il est à noter que Chessex avait un humour subtil et très grand, peu reconnu par ailleurs. Chessex n'a pas cherché à déranger en écrivant Le vampire de Ropraz. Il habitait près des lieux de ce crime, lequel se raconte encore dans le village, crime qui le hantait durant des années, et dont il avait décidé de faire un livre. Il y peint, de son style accompli, un lieu, une époque, des êtres, un pauvre hère, son frère, notre frère, et sous la précision âpre, souvent cruelle des traits, point une tendresse qui ne doit rien à une thèse de sociologie. Chessex était un artiste, il exprimait ce qu'il voulait et il n'avait de compte à rendre à personne. Je n'ai pas lu le livre de Gabrielle Wittkop. Je respecte votre opinion, toutefois à mon sens Jacques Chessex était avant tout, oui, un artiste du verbe, à cet égard je ne puis être de votre avis. Avec vigueur, il faisait passer quelque chose, une transcendance même du pire, l'étrangeté, le mystère de la vie en soi. Enfin, pour me permettre un avis personnel, titrer un livre "Nécrophile" ne me paraît ni élégant, ni artistique, ni séduisant, ce titre n'a aucun charme, il est ennuyeux et creux, il est pour moi la négation même de l'art. A mon sens il est fait pour appâter l'aspect voyeur du lecteur, avec un petit côté présentation d'instituteur qui explique tout d'emblée et ne laisse aucune part au rêve et à la sensation. J'espère que l'ouvrage en effet vaut mieux que son titre!

    Myriam Matossi Noverraz

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  2. Bonjour, Myriam. Merci pour votre commentaire. Le but de mes fiches n'est pas que tout le monde partage mon avis sur tel ou tel livre (ou tel ou tel auteur). Ne faut-il pas de tout pour faire un monde ? Je me permets cependant de vous faire remarquer que, avant de poster ma fiche sur le livre de Chessex, j'ai lu celui-ci, estimant ne pas avoir à le juger sur son seul titre. Je vous recommanderai donc d'agir de même avec celui de Gabrielle Wittkop. Bonne semaine. Bien cordialement. Woland ;o)

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