jeudi 18 septembre 2014

La Bague d'Annibal - Jules Barbey d'Aurevilly

Préface, Chronologie, Notes & Variantes, Bibliographie : Jacques Petit

ISBN : Non Indiqué


Notre Opinion
Personnages

Citation :
[...] ... XXV - M. d'Artinel ... Baudoin d'Artinel, je crois, - oui ! c'est Baudoin qu'il s'appelait ... ou d'un nom à peu près pareil et qu'on s'étonnait toujours de voir accolé à un tel personnage, - M. Baudoin d'Artinel était un homme grave et respectable, jouissant au plus haut degré de l'estime publique, conseiller en Cour royale, ou juge, - je ne sais plus trop lequel - ayant passé trente ans de sa vie, au su de tout le monde, à faire trois enfants à sa femme et un nombre illimité de rapports.

XXVI
- Il avait donc été marié . mais sa femme était morte. Il l'avait pleurée - convenablement ; car on disait que son mariage avait été autrefois un mariage d'inclination. Mais le temps tue la douleur sur le cadavre qu'elle fait, et d'ailleurs un conseiller en Cour royale ne peut décemment pleurer toujours. Cependant, il n'avait point déposé l'air mélancolique, et souvent il aimait encore à glisser de ces mots qui résonnent si bien dans l'oreille des femmes, quand il voulait faire allusion à des chagrins ineffaçables et à un cruel isolement.

XXVII - Soit que Joséphine l'eût séduit avec son bavardage de robes ou de chiffons, - ou par ses grands mots de vertu ou d'estime publique, de sentiments purs et doux, - le vénérable conseiller recherchait avidement l'inexplicable créature. Peut-être le mariage et les peines qui en avaient été la suite ne l'avaient point assez maltraité pour qu'il ne s'aperçût pas des agréments extérieurs de Mme d'Alcy. C'était une nature double et indécise, moitié vieux fat, moitié sentimental ; et c'est ainsi qu'en louvoyant entre ces deux manières d'être, il avait passé autrefois pour un homme à bonnes fortunes. ... [...]
 
Citation :
[...] ... CXXXIV - Je sortis, ce soir-là, un des derniers de chez Mme de Dorff. Elle demeurait rue de Castiglione, et je m'en revenais tout songeant comme un joueur en perte, - car j'avais joué et perdu, - par la rue de Rivoli. Il faisait un clair de lune d'une grande amabilité pour les tuteurs, les maris, les voleurs et les poètes, et autres personnages intéressés par état à l'observation nocturne. C'était une nuit transparente et sonore, quoique silencieuse, - la doublure de celle de la veille.

CXXXV - "Est-ce un voleur ou sommes-nous en Espagne ?" me dis-je, en braquant ma lorgnette sur une espèce de corps épais suspendu entre le ciel et le pavé. Je regardai mieux, - je regardai encore.
- Une femme se penchait timidement sur la rampe du balcon, et dessinait la plus gracieuse courbe sur l'azur du ciel. - Ce n'était pas la scène charmante de l'adieu, à la venue du jour, comme tu nous l'as montrée, ô Shakespeare ! mais plutôt celle qui dut la précéder. Et franchement, illusion ou perspective favorable, la femme penchée, ô Shakespeare, était aussi jolie que ta Juliette.

(...)

CXXXVII - Mais Roméo. Etait-ce ton Roméo, ô mon grand Shakespeare ! ou en était-ce une parodie cruelle ? Ah ! le beau Montaigu, c'était vous, M. Baudoin d'Artinel. Je vous reconnus fort bien avec votre dos un peu arrondi - mais Platon avait les épaules hautes, et qui n'est pas, d'ailleurs, un peu bossu ? ... En montant la poétique échelle de soie verte, vous étiez précieux d'élégance, de souplesse, d'agilité, de grâce ! Que votre gravité vous allait bien, ainsi perché dans les airs ! Ah ! pauvres mortels que nous sommes, ayons donc cinquante ans passés et allons juger, après cela !

CXXXVIII - Et il arriva au balcon sans encombre.
- Or, - je dois l'avouer ici, Madame, - je n'entendis et je ne vis rien de ce qui dut suivre. - La porte vitrée se referma sur l'heureux couple ... et la lune alla toujours son train dans le ciel tranquille. Elle ne rougit pas, cette lune impudente, et moi, qui m'étais arrêté pour regarder cette scène singulière, je fis comme elle, j'allai me coucher. ... [...]
 

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