mercredi 24 septembre 2014

Jane Eyre - Charlotte Brontë

Jane Eyre
Traduction : Charlotte Maurat pour Le Livre de Poche


Personnages


"Jane Eyre" regorge de portraits. L'un des plus réussis, et des plus cruels, est celui de Mr Brocklehurst, administrateur de l'Institution Lowood, où la petite Jane est admise comme pensionnaire lorsque sa tante, Mrs Reed, décide de ne pas la garder chez elle. Mr Brocklehurst se veut homme de Dieu, n'a que Dieu et ses desseins à la bouche et justifie tous ses actes, y compris les plus mesquins, par la volonté de Dieu. Bref, tel qu'il est, Mr Brocklehurst n'est pas sans rappeler le Tartufe.
Constatant que Miss Temple, directrice de l'Institution, a fait servir deux fois, la semaine précédente, un lunch de pain et de fromage en lieu et place du déjeuner habituel, lequel avait été brûlé par la cuisinière, voici comment ce saint homme justifie sa ferme opposition à pareil traitement de faveur :
Citation :
[...] ... - ... Vous savez que mon but, en élevant ces jeunes filles, n'est pas de les habituer au luxe, au confort, mais de les entraîner à la patience, à l'endurance, de les faire renoncer à elles-mêmes. Si, par hasard, il arrive que leur appétit éprouve un léger désappointement lorsqu'un repas n'est pas réussi, qu'un plat est plus ou moins bien cuisiné, il ne faut pas rendre cet incident inutile ni amollir leur corps, en remplaçant ce bien-être perdu par quelque chose de plus délicat, ce qui va à l'encontre des fins de cette institution ; il faut qu'un tel incident soit mis à profit pour l'édification spirituelle des élèves, pour les encourager à montrer de la force d'âme à l'occasion d'une privation passagère. Dans ces circonstances, il ne serait pas inopportun de faire une brève allocution dans laquelle un judicieux éducateur ne manquerait pas de rappeler les souffrances des premiers chrétiens, les tourments des martyrs ; les exhortations de Notre Seigneur lui-même, enjoignant à ses disciples de prendre leur croix et de le suivre ; les avertissements par lesquels il a proclamé que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu ; ses divines consolations : "Heureux ceux qui souffrent la faim et la soif pour l'amour de moi." Oh ! mademoiselle, lorsque vous mettez du pain et du fromage, au lieu de porridge brûlé, dans la bouche de ces enfants, il se peut, certes, que vous nourrissiez leurs corps méprisables, mais vous songez bien peu que vous affamez leur âme immortelle." ... [...]
 
 
Deux pages plus loin, indigné cette fois-ci par les cheveux selon lui inconvenants d'une certaine Julia Severn, Brocklehurst remet le couvert :
Citation :
[...] ... - "Mademoiselle," poursuivit-il [il parle toujours à Miss Temple, directrice de Lowood et personnage beaucoup plus indulgent et plus sympathique] "j'ai à servir un Maître dont le royaume n'est pas de ce monde ; j'ai pour mission de mortifier chez ces jeunes filles les convoitises de la chair, de leur apprendre à se vêtir avec modestie, sans recherche, non à porter de riches vêtements et à se coiffer avec des tresses ; or, chacune des jeunes personnes qui sont devant nous porte des nattes que la coquetterie elle-même n'eût pas mieux tressées. Il faut, je le répète, couper tout cela ; songez au temps perdu, à ..."

Mr Brocklehurst fut alors interrompu par l'entrée de trois autres visiteurs, trois dames. Elles auraient dû arriver un peu plus tôt, pour entendre son sermon sur la toilette, car elles étaient somptueusement vêtues de velours de soie et de fourrures. Les deux plus jeunes du trio - de belles jeunes filles de seize et dix-sept ans - portaient des chapeaux de castor gris, alors à la mode, garnis de plumes d'autruche, et sous le bord de ces gracieuses coiffures, s'échappaient à profusion de blonds cheveux
soigneusement bouclés. La plus âgée était enveloppée d'un châle de velours d'un grand prix, bordé d'hermine, et portait sur le front une frange postiche de boucles à la française. Ces dames, qui n'étaient autres que Mrs et les Misses Brocklehurst, furent reçues avec déférence par Miss Temple qui les conduisit aux sièges d'honneur, en haut de la salle.
Elles avaient dû venir en voiture avec leur vénérable parent, et s'étaient livrées à une revue d'importance dans les pièces de l'étage pendant qu'il discutait affaires avec la gouvernante, interrogeait la blanchisseuse et sermonnait la directrice. ... [...]

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