Si l'on veut rester impartial, on dira de Leroux que l'essentiel de ses romans appartiennent au genre policier, fortement teinté de fantastique. Et c'est avec la même impartialité que l'on doit constater ceci : hélas ! pour lui – et pour nous – son
syle a incroyablement mal vieilli. Du roman populaire et du
journalisme, il a tous les défauts : outrance et grandiloquence d’abord,
accents mélodramatiques terribles ensuite, par-ci, par-là un soupçon de
délire digne d’un Hugo au plus mauvais de sa forme, dialogues qui
s’étirent … Et pourtant, pourtant …
Pourtant Gaston Leroux, remontant son handicap, a créé des archétypes qui perdurent.
Rouletabille,
bien sûr, ce détective à la française et au langage plutôt populaire,
qui pense avec une logique implacable, nous baratine de façon éhontée
avec le « bon bout de sa raison », fait pleurer Margot en narrant sa
triste enfance d’orphelin (mais qui diable est cette mystérieuse « Dame
en Noir » qui venait le visiter au parloir, au collège d’Eu où, tout
comme son créateur, il fit ses études ?) et ne s’impose en fait que par
son intelligence, qui est réelle, et aussi par sa puissance de
déduction.
Chéri-Bibi ensuite, forçat
injustement condamné mais qui s’évade trois fois du Bagne, une montagne
de muscles que poursuit cette « Fatalitas ! » que Leroux lui a donné
comme cri de guerre et qui, je l’avoue, prononcée ainsi et dans de
telles conditions, a quelque chose d’ineffablement ridicule même avec
Hervé Sandre dans le rôle principal.
Erik enfin, le Fantôme de l’Opéra,
avec son effarant passé de bourreau à Ispahan et en Orient, qui se
passionne pour une petite choriste à la voix prodigieuse mais à
l’intellect et au cœur si peu développés qu’elle préfère tomber dans les
bras du bellâtre de service plutôt que dans ceux de son amoureux transi
et défiguré. (Vous imaginez un seul instant Clarice Starling refusant
de devenir la maîtresse d'Hannibal Lecter ? Eh ! bien, Christine Daë se
refusant à Erik, c'est tout-à-fait ça ...)
Sans oublier les
académiciens frileux et menacés du « Fauteuil hanté », le hobereau
halluciné qui, effectivement « revient de loin », le libraire
psychopathe de « La Poupée Sanglante » et quelques autres …
Mais
justement, dépouillés de leurs oripeaux de mélodrames, dépoussiérés par
de plus modernes scénaristes, pourvus de nouveaux dialogues, mis en
scène par les cinéastes adéquats et interprétés par des comédiens comme
Lon Chaney (sublime !!!!) ou encore, plus proche de nous, Robert
Englund, tous ont encore devant eux de beaux jours – et des nuits noires
encore plus belles. Rien que pour l’humanité et la grandeur
que, malgré tout, il leur a conférées, Gaston Leroux a droit à toute
notre reconnaissance de lecteurs – et de spectateurs.
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