samedi 27 septembre 2014

Féeries dans l'Île - Gerald Durrell (Grande-Bretagne)

My Family & Other Animals
Traduction : Léo Lack


J'ai fait la connaissance de la famille Durrell alors que je devais avoir 9-10 ans et par l'intermédiaire de "Télé-7-Jours", revue de programmes télévisés qu'achetaient mes parents et qui, dans les années soixante-dix, publiait régulièrement un feuilleton en encart. Chaque semaine, je recueillais précieusement ces pages spéciales et j'ai longtemps conservé celles de "Oiseaux, Bêtes & Grandes Personnes", autre ouvrage où le naturaliste Gerald Durell met en scène les membres de sa famille.

Je me rappelle encore combien je m'étais amusée à dévorer ce livre qui me dépeignait une île de Corfou chaleureuse et un peu folle, avec de superbes promenades dans la nature et quelques unes des plus belles descriptions du monde animal que - je m'en rendis compte plus tard - j'aie jamais lues. Le tout abondamment saupoudré d'humour et de pittoresque.

Quelques années plus tard, j'appris que l'auteur avait également produit "Féeries dans l'Ile", en anglais : "My Family and other animals" - qui, logiquement, se situe avant "Oiseaux ..." Et je finis par me le procurer chez J'ai lu.

Avec le temps, l'édition d'"Oiseaux, Bêtes & Grandes Personnes" comme celle de "Féeries dans l'Ile" disparurent de ma bibliothèque car j'eus le tort de les prêter. A ce jour, je n'ai pu retrouver le premier - mais je n'ai pas renoncé, les bouquinistes en sont témoins. Le second, je l'ai débusqué chez les Chiffonniers d'Emmaüs, dans une édition vieillie de "La Guilde du Livre" sur laquelle je veille avec l'amabilité d'un pittbull atteint d'arthrose.

Dès le premier chapitre, sobrement intitulé "La migration", on entre de plein pied dans une famille Durell accablée par la maladie : l'un a les oreillons, l'autre une crise d'acné, le troisième enfin un rhume épouvantable. Tous sont alors en Angleterre où, bien que le mois d'août soit en vue, le temps est complètement pourri.

Je vais laisser ici la parole à Gerald Durrell qui, mieux que personne, vous donnera l'idée exacte du ton (inimitable) qu'il a su insuffler à son livre :

[...] ... " Il est temps de faire quelque chose ! [dit Larry.] Comment veux-tu que j'écrive une prose immortelle dans cette atmosphère ?

- Oui, mon chéri," dit Mère d'un air vague.

- Ce dont nous avons tous besoin," dit Larry, revenant à ses moutons, "c'est de soleil ... d'un pays où nous puissions nous épanouir.

- Oui, mon chéri, ce serait bien agréable," dit Mère, qui ne l'écoutait pas.

- "J'ai reçu ce matin une lettre de George ... Il dit que Corfou est merveilleux. Pourquoi ne pas partir pour la Grèce ?

- Oui, mon chéri, si tu veux," dit Mère dans un moment d'inattention.

(Lorsqu'il s'agissait de Larry, Mère évitait généralement de se compromettre.)

- "Quand ?" demanda Larry, assez surpris de cette approbation.

S'avisant qu'elle avait commis une erreur tactique, Mère posa sur ses genoux les "Recette faciles d'après Rajputana."

- "Eh ! bien, tu pourrais peut-être partir avant, mon chéri, pour préparer les choses. Tu m'écrirais pour me dire si c'est agréable et nous te rejoindrions."

Larry lui jeta un regard foudroyant.

- "Tu as déjà dit ça quand j'ai suggéré d'aller en Espagne, et j'ai passé deux mois interminables à Séville, à attendre ta venue. Non, si nous allons en Grèce, allons-y tous ensemble.

- Vraiment, tu exagères," dit Mère d'un ton plaintif. "En tous cas, je ne puis partir ainsi. Il faut que je prenne des dispositions au sujet de la maison.

- Des dispositions ? quelles dispositions ? Tu n'as qu'à la vendre.

- C'est impossible, mon chéri !" dit Mère, scandalisée.

- "Pourquoi ?

- Mais je viens de l'acheter !

- Eh ! bien, vends-la pendant qu'elle est encore intacte.

- C'est ridicule, mon chéri," dit Mère avec fermeté, "et absolument hors de question. Ce serait une folie."

Nous vendîmes donc la maison et, telle une bande d'oiseaux migrateurs, prîmes la fuite, loin du lugubre été anglais. ... [...]"


Pas un instant, ni le rythme de l'action, ni le sens de l'humour ne faiblissent tout au long de ces 280 pages parmi lesquelles, au gré de ses préférences, on retiendra soit l'"attaque" de Larry Durrell (futur auteur du "Quatuor d'Alexandrie" et grand ami de Henry Miller et d'Anaïs Nin) par une maman scorpion enfermée dans une boîte d'allumettes avec tous ses bébés par un Gerry déjà animé d'une ardeur de chercheur, soit le saccage de la chambre de l'écrivain par les Pilles, soit la description malicieuse des amis "artistes" du même Larry débarquant à la Villa Jonquille, soit encore l'évocation des différents "précepteurs" que le souci d'une éducation bien menée poussa Mrs Durrell à donner au plus jeune de ses enfants.

Avec cela, une foule de personnages dits "secondaires" mais que le lecteur n'est pas près d'oublier : Spiro, le chauffeur de taxi qui se posera très vite comme le mentor des Durrell à Corfou ; Lugaretzia, la bonne hypocondriaque, toujours prête à raconter ses problèmes intestinaux ou gastriques, Théodore Stéphanidès, le botaniste lunaire aux mille et une histoires farfelues sans oublier les animaux eux-même : Quasimodo le pigeon, Achille la tortue, les deux abominables Pilles, toujours à l'affût d'un mauvais coup, Geronimo le gecko, Roger, Widdle et Puke (les chiens de Gerry) face à Dodo (la chienne de Mère) plus les innombrables araignées, insectes et autres larves dont l'étude minutieuse comble de joie le jeune Gerry pratiquement depuis le berceau.

Un livre à relire si vous avez la chance de le posséder. Sinon, courez l'acheter : la déprime ne saurait résister à un pareil antidote.

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