lundi 22 septembre 2014

Alifa Rifaat


5 juin 1930, Le Caire (Egypte) : naissance de Fatimah Abdullah Rifaat - en arabe أليفة رفعت- dite Alifa Rifaat, écrivain.

Son père exerçait la profession d'architecte, sa mère était femme au foyer. La tradition familiale soutient que les racines de la famille sont liées à Oma ibn al-Khattab, compagnon et conseiller de Mahomet.

L'enfant grandit dans le cadre de l'Egypte provinciale et c'est dans ce milieu que se déroulera l'essentiel de son existence. Il est donc normal qu'elle choisisse souvent ce cadre pour nombre de ses livres. Son intérêt pour l'écriture apparaît à l'âge de neuf ans et se manifeste par un poème où elle exprime la désolation qui sourd de son village. Elle sera d'ailleurs punie pour avoir osé utiliser pareil thème.

Après l'Ecole primaire de Misr al-Jadidah, l'adolescente entre au Centre culturel pour les Femmes. De 1946 à 1949, elle obtient l'autorisation de s'inscrire à l'Institut Britannique du Caire où elle étudie l'anglais. Mais quand elle annonce à son père qu'elle souhaite poursuivre plus avant et s'inscrire au Collège des Beaux-Arts égyptiens, Rifaat Senior croit voir s'effondrer la civilisation musulmane tout entière et s'empresse illico de concocter un mariage de raison avec l'un des innombrables cousins de sa fille, par ailleurs officier de police.

Pendant les premières années de leur mariage, son mari autorise Fatimah à écrire et à publier, à condition qu'elle le fasse sous un pseudonyme et en dépit de la tradition qui assure en Egypte qu'écrire ne concerne que les hommes. De 1955 à 1960, la jeune femme publie donc récits et nouvelles jusqu'à ce que, sous la pression maritale, elle mette fin à sa carrière d'écrivain.

S'ensuit un silence littéraire qui durera quatorze longues années. Alifa Rifaat étudie chez elle la littérature, l'astronomie et l'Histoire. Elle ressent douloureusement la frustration qu'éveillent en elle son incapacité à exprimer ce qu'elle veut et les problèmes qu'elle doit affronter dans la société tout simplement à cause de son sexe.

En 1973, après une grave maladie qui l'a sans doute forcé à réfléchir un peu, le mari d'Alifa l'autorise une nouvelle fois à écrire et à publier ses textes. Elle produit un recueil de nouvelles et deux romans. Parmi les nouvelles, "My World of the Unknown / Mon Monde de l'Inconnu", qui va lui assurer la reconnaissance publique.

En 1979, Alifa devient veuve. Elle peut désormais voyager ailleurs que dans l'Egypte profonde. En 1981, elle entreprend le fameux pèlerinage à La Mecque puis poursuit par un tour d'Europe avant de finir par quelques états arabo-musulmans comme le Maroc. Elle visite aussi la Turquie.

Membre de la Fédération des Ecrivains égyptiens et du Club de la Nouvelle, elle participe, en 1984, au "First International Women's Book Fair", à Londres, où elle fait un discours sur les droits de la femme en islam et sur la polygamie.

Alifa Rifaat décède au Caire, en janvier 1996, à l'âge de soixante-cinq ans.

Elle laisse derrière elle près d'une centaine de textes qui ont été traduits en de nombreuses langues et dont certains ont été adaptés pour la télévision. Certains de ces textes ont aussi été lus à la BBC

 Alifa Rifaat est un auteur exclusivement arabophone. Ses intrigues, qui, au début de sa carrière, se focalisent sur l'aspect romantique de l'histoire, se fixent par la suite, après sa rencontre avec le traducteur Denys John-Davies, sur la critique sociale. John-Davies la convainc également d'user d'un arabe plus familier, ce qui permettrait à ses livres de toucher un maximum de personnes parmi la masse des Egyptiens.
Ses romans et ses nouvelles ont été traduits dans de nombreuses langues dont l'anglais, l'allemand, le néerlandais et le suédois - mais apparemment pas en français. La traduction anglophone la plus connue est celle d'un recueil de nouvelles : "Distant View of A Minaret and Other Short Stories". On la doit à David John-Davies.

A la différence d'écrivains comme la grande féministe égyptienne Nawal al-Sadawi, Rifaat écrit sur les femmes dans les rôles traditionnels assignés par l'islam. Dans son autobiographie, elle décrit l'échec affectif de ses relations avec son père comme l'une des possibles origines de sa quête de ce que les hommes recherchent - et dont ils ont besoin - chez les femmes. Elle continue par ceci : " ... [J'ai découvert] que tous les hommes recherchent le plaisir. ... [...]"

Parmi les thèmes majeurs de son écriture, la détresse silencieuse des femmes dans la société musulmane patriarcale. Ses récits se déroulent essentiellement dans l'Egypte provinciale et parlent de sexe, de mort, de mariage, de masturbation, de clitoridectomie, d'amour, des grossesses chez les adolescentes, du veuvage, etc ... On se doute bien que, en terre islamique, il y a là matière à scandale et controverse. Wink Pour Rifaat, la femme est considérée comme un être purement sexuel mais lui permettre d'exprimer librement cette sexualité, c'est aussi promesse de chaos social.
Bien que, par son écriture, elle se soit élevée contre la répression sexuelle infligée aux femmes en islam, Rifaat, dans sa vie privée, a suivi la ligne musulmane traditionaliste et ne s'est jamais faite l'avocate des femmes contre le patriarcat. Beaucoup des protagonistes féminins de ses textes adoptent une attitude résignée ou font contre mauvaise fortune bon coeur devant le statut pénible qui est le leur. Il semble que, pour l'auteur, le système patriarcal n'est qu'un fait comme les autres de l'existence, justifié par les lois du Prophète. (...) Les rencontres sexuelles se déroulent toujours dans le cadre du mariage des personnages et il n'y est évidemment pas question une seule fois d'une relation extra-maritale qui serait contraire à l'islam.

Alifa Rifaat : une femme qui a souffert, un écrivain musulman qui n'a pas osé aller jusqu'au bout. Elle aura au moins eu le courage d'essayer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire