Préface, Chronologie, Notes & Variantes, Bibliographie : Jacques Petit
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Notre Opinion
Personnages
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- Citation :
- [...] ... "- J'eus beau regarder [Vellini] avec toute l'impartialité qui était en moi - reprit Marigny - pour m'expliquer un peu davantage l'asservissement de mon pauvre ami de Mareuil, je restai dans mon opinion de la veille. C'était un visage irrégulier. Elle était vêtue d'une robe de coupe étrangère, de satin sombre à reflets verts, qui découvrait des épaules très fines d'attache, il est vrai, mais sans grâce plénitude et sans mollesse. On eût dit les épaules bronzées d'une enfant qui n'est pas formée encore.
Ses cheveux, tordus sur sa tête, étaient retenus par des velours verts.
Deux émeraudes brillaient à ses oreilles et des bracelets - faits de
cette pierre mystérieuse - s'enroulaient comme des aspics autour de ses bras olivâtres. Elle tenait à la main l'éventail de son pays, de satin noir et sans paillettes, ne montrant au-dessus que deux yeux noirs, à la paupière lourde et aux rayons engourdis.
Comme la conversation n'était pas très animée et qu'elle n'y prenait
aucune part, j'eus le temps de l'examiner et de la détailler comme un
tableau ou une statue. Le souper, qu'on annonça, interrompit mon examen.
De Mareuil se précipita pour donner le bras à sa Malagaise, et je m'arrangeai de manière à marcher derrière lui pour juger d'une tournure que j'avais à peine entrevue. Mme Annesley [= nom d'épouse de Vellini] était
petite, les hanches plus élégantes que fortes, mais la chute audacieuse
des reins accusait l'origine Mauresque. Le mouvement qu'elle fit pour
passer dans la salle-à-manger au bras de Mareuil révolutionna mes idées,
bouleversa mes résolutions. C'était ce meneo des femmes
d'Espagne dont j'avais tant entendu parler aux hommes qui avaient vécu
dans ce pays. Une autre femme sortit de cette femme. Deux éclairs, je
crois, partirent de cette épine dorsale qui vibrait en marchant comme
celle d'une nerveuse et souple panthère, et je compris, par un frisson
singulier, la puissance électrique de l'être qui marchait ainsi devant
moi.
Deux heures après, marquise, je la comprenais bien davantage, ou plutôt, moi, je ne me comprenais plus ! Ah ! c'était vraiment par le mouvement que cette femme était reine et reine absolue, Reina netta, comme on dit dans la langue de son pays ! A ce souper étincelant et brûlant donné pour elle, il fallut la voir et l'entendre !!! D'autres sensations, d'autres sentiments, le bonheur, la possession et les mille désenchantements qui suivent l'enchantement épuisé, n'ont pu éteindre ce souvenir. D'où cette vie subite lui venait-elle ? Etait-ce de la coupe où elle trempait sa lèvre avec une sensualité pleine de flamme ? Etait-ce de l'esprit que répandaient alors, par torrents, ces spirituels et effrénés viveurs, excités par la présence de cette Sabran espagnole ? Qui le savait ? Qui pouvait le dire ? Même moi, qui ai pressé depuis toute cette vie sur mon coeur, je l'ai ignoré. Je n'ai jamais su d'où venait cette transfiguration impétueuse, cette ouverture d'ailes, poussées en un clin d'oeil, qui la ravissaient, nous emportant tous. Les prestiges de la laideur, que M. de Mareuil m'avait promis, apparurent en Mme Annesley. Son regard épais, qui ne tombait plus pesamment sur moi, mais qui m'échappait en brillant, me fascinait d'impatience par la mobilité de ses feux. Le sang de son père, le toreador, bouillonnait dans ses joues d'ambre devenues écarlates. On eût juré qu'il allait faire éclater les veines et couler dans ce souper, sous la force même de la vie, comme autrefois il avait coulé dans le cirque, sous la tête armée du taureau. Elle se renversait, tout en causant, sur le dossier de son fauteuil avec des torsions enivrantes, et il n'y avait pas jusqu'à sa voix de contralto - d'un sexe un peu indécis, tant elle était mâle ! - qui ne donnât aux imaginations des curiosités plus embrasées que des désirs et ne réveillât dans les âmes l'instinct des voluptés coupables - le rêve endormi des plaisirs fabuleux ! ... [...]
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