Au début du livre, Laferrière accorde une
interview à une journaliste de Montréal. J'ai trouvé certains de ses
propos assez curieux, à la fois réalistes et irritants, assez pour que
je les cite :
- [...] ... La machine enregistre. Enfin de compte, vous n'écrivez que sur l'identité ? Je n'écris que sur moi-même. Vous l'avez déjà dit, ça. Ca n'a pas l'air d'avoir été entendu. Vous avez l'impression qu'on ne vous écoute pas ? Les gens lisent pour se chercher et non pour découvrir un autre. Paranoïaque ? On ne l'est jamais assez. Pensez-vous que vous serez un jour lu pour vous-même ? C'était ma dernière illusion avant de vous croiser. Vous me paraissez différent dans la réalité. On s'est déjà rencontrés dans un livre ? Elle ramasse son matériel avec cet air ennuyé capable de vous pourrir une journée ensoleillée. ... [...]
- Second extrait :
- [...] ... C'est quand même étonnant cette absence de la faim
comme thématique qui pourrait intéresser les artistes en quête de sujet.
Très peu de romans, de pièces de théâtre, d'opéras ou de ballets ont la
faim comme thème central. Et pourtant il y a aujourd'hui un milliard
d'affamés de par le monde. Est-ce un sujet trop dur ? On
exploite bien la guerre, les épidémies, la mort sous toutes formes
possibles. Est-ce un sujet trop cru ? Le sexe s'étale sur tous les
écrans de la planète. Alors pourquoi ? Parce que cela ne
concerne que des gens sans pouvoir d'achat. L'affamé ne lit pas, ne va
pas au musée, ne danse pas. Il attend de crever.
La nourriture est la plus terrifiante des drogues. On y revient toujours : pour certains au moins trois fois par jour, pour d'autres une fois de temps en temps. Gary Victor [autre auteur haïtien] m'a dit qu'il n'a pas connu la grande famine. Moi non plus. Ce qui nous a donné le sentiment qu'on ne sera jamais l'auteur du grand roman haïtien dont le sujet ne peut être que la faim. Roumain l'avait effleuré en faisant de la sécheresse le thème de Gouverneurs de la Rosée. La sécheresse c'est la soif. La terre qui a soif. Je parle de l'homme qui a faim. Bien sûr que la terre nourrit l'homme. J'ai tenté de le consoler en évoquant des sujets peut-être aussi intéressants comme l'exil, mais ça ne fait pas le poids face à l'homme qui a faim. Victor m'a quitté avec une certaine tristesse dans les yeux. ... [...]
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