jeudi 18 septembre 2014

Léa - Jules Barbey d'Aurevilly


Préface, Chronologie, Notes & Variantes, Bibliographie : Jacques Petit

ISBN : Non Indiqué

Notre Opinion
Personnages



L'incipit :
Citation :
[...] ... Une voiture roulait sur la route de Neuilly. Deux jeunes hommes, en habit de voyage, en occupaient le fond, et semblaient s'abandonner au nonchaloir, d'une de ces conversations molles et mille fois brisées, imprégnées du charme de l'habitude et de l'intimité.

- "Tu regrettes l'Italie, j'en suis sûr, - dit à celui qui eût paru le moins beau à la foule, mais dont la face était largement empreinte de génie et de passion, le plus jeune et le plus frais de ces deux jeunes gens.

- J'aime l'Italie, il est vrai, - répondit l'autre.  - C'est là que j'ai vécu de cette vie d'artiste imaginée avec tant de bonheur  avant de la connaître. Mais, auprès de toi, mon ami, il n'y a pas de place pour un regret."

Et, en-dessus de la barre d'acajou, les mains des deux amis se pressèrent.

- "J'ai craint longtemps, - reprit le premier interlocuteur - que la générosité de ton sacrifice ne te devînt amère. Quitter Florence, tes études, tes plaisirs, pour revenir avec moi à Neuilly, te faire le témoin des souffrances de ma pauvre soeur, et partager mes inquiétudes et celles de ma mère, n'est-ce pas là le plus triste échange ?
- En supposant qu'il y ait du mérite à éprouver un sentiment tout à fait involontaire, mon cher Amédée, tu t'exagérerais encore ce que ton amitié fait pour toi. Quant ta soeur ira mieux, ne pourrons-nous pas reprendre le chemin de cette Italie que nous venons de quitter ? Oh ! espérons que les craintes exprimées dans la lettre de ta mère n'ont aucun fondement.
- Je le saurai bientôt, - dit Amédée, et il frappa du fouet qu'il tenait le cheval qui redoubla de vitesse ; - mais je n'augure rien que de sinistre du style de ma mère : croirais-tu qu'elle me parle d'un commencement d'anévrisme." ... [...]
 
 
Citation :
[...] ... La belle saison était avancée et Mme de Saint-Séverin, désolée, demandait à Dieu dans ses prières que sa fille ne finît pas plus vite que l'été. Qu'il faut de désespoir pour qu'une mère ne demande plus davantage ! Oh ! qu'il faut de désespoir pour qu'une mère ne croie plus à la possibilité d'un miracle en faveur de l'être qu'elle chérit. Le dernier soir que Léa vint à la terrasse, Mme de Saint-Séverin aurait bien dit : "Elle ne reviendra pas s'asseoir ici," tant elle voyait clair dans l'état de sa fille. Des pressentiments ne trompent pas quand on aime ; mais ce n'étaient plus des pressentiments qu'avait Mme de Saint-Séverin, c'était la science du médecin habile qui verrait à travers le corps la maladie, et qui assignerait à heure fixe le moment où il entrerait en dissolution. Une connaissance, une infaillibilité que le savoir humain ne donne pas, le sentiment la lui avait acquise. Ah ! ne dites point que la nature n'est pas cruelle, qu'elle a couvert l'instant de la mort d'une incertitude compatissante : cela n'est pas vrai toujours pour celui qui meurt, et cela ne l'est jamais pour celui qui regarde mourir !
Réginald aussi ne s'illusionnait pas. Il se disait que la vierge de son amour rendrait bientôt son corps à la terre et son âme aux éléments : bouton de rose indéplié et flétri sous l'épais tissu de ses feuilles séchées sans un ouragan que l'on pût accuser ; fleur inutile que personne n'avait respirée ; avorton de fleur sous l'enveloppe fanée de laquelle l'haleine la plus avide, le souffle le plus brûlant, n'eût rien trouvé peut-être à aspirer. Et son amour se renforçait de cette accablante certitude, et d'un doute aussi amèrement décevant. Il semblait que toute cette vie qui abandonnait Léa se coulât dans son sein par vagues débordantes et multipliât la sienne. Moquerie diabolique de la destinée ! On se sent du souffle pour deux, on sent, en mettant la main sur sa poitrine, que si cette maudite poitrine pouvait s'ouvrir on aurait du souffle à donner à des millions de créatures, et il faut tout garder pour soi ! ... [...]

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