vendredi 19 septembre 2014

A Lire La Nuit - Seamus Deane (Irlande)

Reading in the Dark
Traduction : Marianne Véron


Seamus Deane a attendu d'atteindre son demi-siècle pour coucher par écrit ses souvenirs d'enfance, dans l'Irlande de l'immédiate après-guerre, côté catholiques romains. S'y ajoute une touche de fiction - du moins l'auteur entend-il nous en convaincre - qui place "A Lire la Nuit" dans la catégorie des romans.

Un roman littéralement hanté par les apparitions (celles que voit la mère du jeune narrateur) et les souvenirs (tournant pour l'essentiel autour de la mort de l'oncle paternel du jeune garçon, l'oncle Eddy) sur fond de tensions religieuses et nationales (les collaborateurs irlandais pactisant avec le gouvernement britannique face aux rebelles catholiques, partisans d'une Irlande enfin libérée du joug anglais), le tout enfoui au sein des brumes celtiques, que celles-ci soient l'oeuvre de la mémoire ou bien du climat.

Tous ceux qui ont connu une enfance celtique, de ce côté-ci de la Manche ou de l'autre, dans une ville où l'on pouvait encore voir les vestiges récents de la Seconde guerre mondiale, la retrouveront dans "A Lire la Nuit." Tout y est en effet : la nuit douce ou âpre, les rues encore pavées qui sonnent à vide sous le pas d'un passant égaré ou en fuite, les jeux sur les terrains vagues encore minés, et puis les histoires de fantômes et d'intersignes, les femmes tristes corsetées dans l'éducation catholique martelée par leurs parents, la Malédiction qui rôde dans les familles parce que, dans les familles, justement, sous prétexte de Tradition, de religion et du passé, on ne se parle pas, on entasse les hontes en secrets qui s'accumulent et qui finissent par étouffer des innocents ...

Bien qu'attaché à sa celticité, Seamus Deane n'a pas oublié, n'a pas non plus pardonné. S'il évoque le plus souvent avec tendresse l'enfant qu'il fut et les adultes qui l'entourèrent, on sent bien la jubilation qui est la sienne lorsqu'il évoque son grand-père, mort sans le secours d'un prêtre, athée splendide que l'asphyxiante chape de respectabilité familiale tentera de figer à jamais dans le mensonge d'une extrême-onction de dernière minute qui ne fut jamais administrée. Quant au noeud de vipères qui finira par se former entre sa mère et lui - là encore en raison de trop de mensonges - le lecteur perçoit encore toute la souffrance qu'il lui inspire, après tant d'années.

A lire. La nuit ou pas. Mais à lire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire