mercredi 1 octobre 2014

Tanizaki Jun'ichirô (I)

24 juillet 1886, Tôkyô (Japon) : naissance de Tanizaki Jun'ichirô, nouvelliste & romancier.

Il naquit dans une riche famille de marchands, dominée par la haute figure du grand-père paternel, Tanizaki Kyüemon. Ce dernier n'avait pas eu de fils et, conformément à l'usage japonais, il avait adopté deux garçons d'une famille voisine, les Ezawa, grossistes en saké autrefois très riches mais désormais appauvris, et leur avait fait épouser ses deux filles. Jun'ichirô est le premier enfant issu de la branche cadette, celle de Tanizaki (ex-Ezawa) Kuragôrô.

Choyé par toute la famille (il a encore trois frères et quatre soeurs), le petit Jun'ichirô grandit dans le vieux quartier tokyôite, aux côtés de sa mère, dont la beauté le fascine, et de sa vieille nourrice. Près de ces deux femmes, Kuragôrô, le père, fait assez pâle figure et le futur écrivain le décrira toujours comme une faible personnalité.


Bien évidemment, rien ne prédestine l'enfant à devenir un lettré : tout le monde voit en lui celui qui reprendra les affaires ou, peut-être, en créera d'autres. Mais, en-dehors du monde du commerce, point de salut, c'est sûr.

A la mort du grand-père, en 1888, commence pour la famille Tanizaki une période de décadence financière. Jun'ichirô a tout juste huit ans quand il quitte avec les siens la vaste demeure familiale pour emménager dans une maison de dimensions bien plus modestes. Sa formation scolaire elle-même subit le contrecoup des déboires financiers de ses parents et se poursuit avec beaucoup de difficultés. Et pourtant, c'est un excellent élève.

A peine sorti de l'adolescence, il est engagé, en tant que précepteur, dans une riche famille qui le traite, au vrai, comme un domestique. Il ronge cependant son frein pendant cinq ans au bout desquels, sa liaison avec une jeune femme, employée elle aussi, ayant été dévoilée, il est mis à la porte sans autre forme de procès.
Pour passer le temps et échapper au sentiment d'humiliation qui le poursuivait, Jun'ichirô a mis à profit ces cinq années pour lire un maximum. Comme à tant d'êtres en ce monde, avant lui et après lui, les livres lui ont permis l'évasion que lui interdisaient les usages et le sens des responsabilités familiales. Il a plongé dans l'immense chaudron de la littérature : il n'en ressortira plus. En parallèle, il a eu la chance de se lier d'amitié avec un enseignant féru de belles-lettres chinoises et japonaises, Inaba Seikichi, qui lui a beaucoup appris et l'a initié à la pensée bouddhique.

L'étape suivante, c'est la tentation d'imiter les maîtres - les amis dissimulés dans les livres : Tanizaki commence à écrire.

Même s'il se sent attiré par le journalisme, la nécessité de créer des fictions prime aux yeux du jeune homme. Rien ne le rebute, il s'essaie à tout : poèmes bien sûr (en japonais ou en chinois classique mais aussi en japonais moderne et dans le nouveau style poétique), dialogues pour des pièces de théâtre, essais et, bien sûr, courts récits romanesques - jusqu'à l'après-guerre, le Japon ne fait pas la différence entre ce que l'Occident appelle "nouvelles" et "romans" et, si brefs qu'ils soient, les textes de fiction sont soit des contes, soit des romans.

En cette fin du XIXème siècle où l'Empire du Soleil Levant prend son essor pour passer du Moyen-Age aux Temps Modernes, Tanizaki Jun'ichirô déborde de curiosité intellectuelle et linguistique. Il est vrai que sa langue maternelle elle-même est alors en pleine mutation et que plusieurs formes d'écriture coexistent en bonne entente.

 En 1908, à l'âge de vingt-deux ans, le jeune Tanizaki prend une décision désapprouvée par sa famille : il deviendra écrivain. Inscrit à l'Université impériale de Tôkyô, section Littérature japonaise, il tente de se faire publier. Il lui faudra attendre deux ans - deux ans d'angoisses durant lesquels il frôle la dépression pure - pour que la revue "Shinshichô" (= "Nouveaux Courants de Pensée") accepte sa pièce "Naissance" et publie l'un de ses essais critiques sur un roman de Sôseki Natsume.

Suivent un certain nombre de nouvelles, dont l'impressionnant "Tatouage" (souvent repris dans les anthologies spécialisées dans le fantastique) et "Le Kilin." En 1911, la revue "Subaru" lui ouvre à son tour ses pages et accepte "Shônen / Les Jeunes Garçons." La même année, lorsque la revue "Mita Bungaku" publie "Hyofu / Tourbillon", la censure frappe pour le première fois le jeune auteur pour outrage aux bonnes moeurs. Son texte évoquait en effet le désir sexuel chez les adolescents et la chose a déplu en haut lieu. Désormais surveillé, Tanizaki ne sait pas encore que nombre de ses récits seront par la suite interdits à la vente, comme vient de l'être le numéro de "Mita Bungaku" où apparaissait "Tourbillon."

En novembre de la même année, le grand Kafû Nagai consacre un article des plus élogieux au jeune auteur qui, dans la foulée, publie son premier recueil de textes.

La seconde décade du XXème siècle est particulièrement importante dans l'histoire de la littérature japonaise. C'est l'époque où, dans le vaste peloton des auteurs reconnus de longue date (Ôgai Mori, Sôseki Natsume, Kafû Nagai et quelques autres), commencent à s'immiscer des personnalités plus jeunes : Naoga Shiga, Saneatsu Mushanokôji et, bien entendu, Tanizaki.

Ce dernier se différencie essentiellement par son refus de juger les faits et personnages qu'il présente. Il est à mille lieu de la morale confucéenne, mieux, il l'ignore. Tout ce qui relève de la beauté et de l'érotisme l'intéresse et il ne se préoccupe ni de morale, ni de religion. Jusqu'au bout d'ailleurs, il traitera des thèmes aussi délicats que l'homosexualité, le sadomasochisme, le fétichisme - et même la scatologie.


Pour lui, la vie, le sexe et la Mort sont les expressions d'une seule et même force.

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